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Critique de michfred


Je ne suis jamais allée à  Trieste, mais depuis ma lecture de Magris, je rêve de cette Vienne échouée sur l'Adriatique, un peu habsbourgeoise, un peu italienne, un peu slave.

Ville de confins, de cafés, de lagunes, de môles  et de montagnes.

Ville orientale et port cosmopolite,qui  a su attirer des professeurs comme Joyce et nombre de juifs chassés par l'antisémitisme des pays balkaniques -  pôle culturel  dont l'eclat un peu assourdi semble un dernier scintillement de ces brillantes cités de la Mitteleuropa que les guerres et les divisions ethniques ont éteintes.

Cette Trieste fascinante a produit d'excellents écrivains  - Svevo, Magris, Slataper, Saba, pour ne citer que les plus connus- mais je ne connaissais pas Giani Stuparich, qui y est né,  y a suivi ses études au "ginnasio" Dante Alighieri, et y a connu, à  19 ans, sa première grande passion pour Maria Prebil- qui brisa aussi le coeur de son meilleur ami, Alberto Spaini, un des premiers traducteurs de Kafka.

Du subtil équilibre entre matière autobiographique et  transmutation  poétique , naît "Un anno di scuola", qui sera publié pour la première fois dans  le volume "Racconti", en 1929.

Une longue nouvelle, ou un court récit, comme on voudra.

Une belle jeune fille débarque en huitième année de "ginnasio", juste avant l'université,  dans une classe constituée uniquement de garçons. Voilà le sujet.

Tout Trieste se retrouve dans ce récit- microcosme : la folie slave, la gravité germanique, l'élégance italienne.

Et Edda Marty, la belle héroïne,  ravageuse involontaire de tous ces coeurs masculins par  trop inflammables, est comme une vivante allégorie de la ville : brillante, intelligente, passionnément indépendante et désespérément romantique.

Un an, un lieu, un amour: trois unités pour cette tragédie tempérée par le recours à la distanciation romanesque -pas de "je", mais , derrière la froideur de la troisième personne, on devine un point de vue privilégié, celui de l'auteur,   dans ce jeune Antero - anti-héros ou anti Éros?- dévoré de désir  et d'orgueil face à  la belle Edda qui partage ses sentiments mais qui est trop sollicitée pour vivre paisiblement la douceur d'un premier amour réciproque.

Dans cette ville provinciale, allanguie le long de la mer,  où  Edda regrette Vienne et ses trépidations,  que de tumultes pourtant, que de précipices, de naufrages, de morts!

Car la mort danse avec l'amour son pas de deux.

Dans la fraîcheur humide de l'air salin, tousse , s'etiole et meurt la soeur chérie d'Edda, et la neige glacée, les lacs gelés , les brusques orages, les ponts, les môles sont autant d'ouvertures béantes sur la houle instable des sentiments, sur les lames perfides du désir , sur le naufrage des ambitions, sur les tentations du suicide...

Et quelle langue magique!  Stuparich a des accents proustiens quand il évoque la jalousie, la possession, le désir. Il a aussi la même ironie parfois, devant ces jeunes gens fougueux et fragiles qui jettent le bébé avec l'eau du bain...

Et on pense à Ibsen aussi dans ces " solutions"  extrêmes, masochistes, qui font encore plus souffrir que le mal qu'elles prétendent guérir.

Le dangereux poison de la tristesse et la torture du désir inassouvi sont mis à distance par le côté potache et farcesque de cette fin d' année estudiantine, qui s'achève dans les rires, les blagues, et ...sous un déluge de grêle !

Mais aussi dans l'indépendance chèrement conquise de tous les protagonistes qui prennent chacun leur propre route, leurs lauriers sous le bras.

Malgré les lazzi, on apprend, incidemment, que la belle Edda, prise de congestion, a failli mourir, et qu' Antero, embourgeoisé et dans les jupes de sa mamma - une "Anti-Eros" incontestable!- gardera toujours de cette année scolaire, comme dans la chanson le Temps des Cerises, "une plaie ouverte"...

Tiens, les cerises...comme celles qui ornent le chapeau de paille d'Edda...

Un enchantement. Parfois bien mélancolique, mais un enchantement quand même!
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