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Critique de Tachan


Malgré une maquette un peu maladroite et amateur, quand on me propose de découvrir en vf une nouvelle autrice de josei, je suis toujours au rendez-vous et c'est avec grand plaisir que j'ai fait la connaissance de Yumi Sudô dans ce diptyque mettant en scène l'histoire d'amour contrariée entre deux femmes tout au long de leur vie dans une superbe narration à rebours rappelant un peu la BD Malgré tout que j'avais adorée.

Cette jeune autrice qui officie depuis une dizaine d'années officie surtout sur des tranches de vie légèrement dramatiques depuis ses débuts, c'est aussi le cas ici. Avec Que reste-t-il de nos rêves ? titre ô combien évocateur, elle nous conte avec émotion les regrets d'une vie de deux femmes qui se sont aimés de l'adolescence jusqu'à la fin de leur vie dans un Japon d'après-guerre pas facile pour deux personnes qui sortent des normes. A travers le récit de leur vie, de leurs rencontres manquées, des contraintes de la vie en société se dessine un superbe portrait de femmes mais un portrait complexe et plein de nuances.

Avec son trait sobre venant tout droit des influences que je préfère dans le monde du josei, Yumi Sudô met en scène deux jeunes femmes aux émotions intérieures complexes que seul son dessin extrêmement fin parviendra à rendre et faire ressortir le temps de l'histoire. C'est très émouvant.

L'histoire s'ouvre d'ailleurs par un chapitre particulièrement dur derrière l'ambiance douce et mélancolique que l'autrice veut nous transmettre. Nous découvrons Kyoko, une vieille femme en fin de vie qui perd la mémoire, ce qui peine beaucoup les siens. le temps d'une après-midi, elle va revoir son amie de toujours, Mitsu, avec qui elle aurait pu avoir une histoire mais ça n'a jamais eu lieu. Leurs retrouvailles se finissent malheureusement assez mal et nous avons ensuite le récit à rebours des regrets et moments manqués entre les deux femmes qui ont un sacré passé entre elles.

J'ai beaucoup aimé cette bouffée d'émotion sobre et contenue, pleine de non-dits, que j'ai eu à la lecture de chacun des moments de leur vie. J'ai beaucoup aimé ce procédé d'histoire à reculons, partant du présent pour aller jusqu'au moment de leur rencontre. Dans ce premier tome, nous suivons plutôt l'histoire du point de vue de Kyoko, c'est celle-ci et son histoire de femme, qui sont mis en avant, même si c'est Mitsu que l'on voit beaucoup paradoxalement. Mais c'est l'histoire de Kyoko qui vient tout bousculer et perturber la vie de Mitsu à plusieurs reprise. Sous ses dehors fragile, c'est elle le moteur de leur histoire.

Leur histoire, elle, est tragique. L'autrice nous montre toute la complexité de s'aimer quand on est deux femmes dans le Japon des années 60-70. Avec force mais subtilité, elle nous parle de la pression de la société envers les femmes qui travaillent et ne sont pas mariées, envers celles qui ne parviennent pas à être indépendante et à réussir, puis envers la femme mariée qui doit avoir des enfants, s'occuper de son mari et de la famille de celle-ci. C'est une vie de soumission et de pression qui nous est ici conté vis-à-vis de la femme japonaise et bien peu vont à l'encontre de ce modèle. Kyoko semble donc la plus soumise des deux puisqu'elle s'y soumet, tandis que Mitsu, elle, a trouvé la force de lutter contre et de rester indépendante. Mais laquelle des deux est la plus heureuse ou la moins malheureuse ? L'autrice ne nous donne pas la réponse et nous laisse y réfléchir.

L'émotion, en tout cas, est belle et bien là. Malgré une certaine froideur causée par le recul pris face à cette histoire, je n'ai pu m'empêcher d'être touchée par ce qui était en jeu et par les émotions contenues des deux femmes tout au long de leur vie. Chaque rencontre est un déchirement dans ce tome car la société et leurs propres choix les empêchent de vivre pleinement leur histoire. C'est d'une tristesse. J'en suis venue à être vraiment peinée pour Mitsu, qui est celle qui a le plus essayé, tandis que Kyoko m'a agacée par sa soumission et ce qu'elle fait vivre à Mitsu. de la même façon, j'ai été touchée par leur entourage, que ce soit le bon ami de Mitsu que j'ai trouvé amusant et plein de soutien mais aussi très ouvert, ou la famille de Kyoko qui à la fin doit vivre avec cette personne perdant la mémoire, ce qui a aussi des conséquences sur eux.

Avec ses messages émouvants et pertinents sur la société japonaise et les relations saphiques dans le Japon d'après-guerre, Que reste-t-il de nos rêves ? est à la fois un titre de société et un récit de vie émouvant, dont la mise en scène et les dessins signés de Yumi Sudô m'ont beaucoup plu. Il y a une vraie intention derrière cette histoire qui interpelle et émeut.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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