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Critique de hervethro


Voilà que je continue mes séances de rattrapage en lisant des oeuvres que j'aurais dû découvrir lorsque j'avais dix ans. Cela a un avantage, c'est que bien souvent il y a deux niveaux de lecture (ou davantage). Tous ces romans d'aventure cachent forcément autre chose. Dans le cas de Gulliver, ceux et celles qui cherchent le bon roman d'aventures aux constants rebondissements et à l'intrigue tarabiscotée en seront pour leurs frais. Car, une fois le livre terminé, si on se penche sur la vie de Swift on constate que, comme les dramaturges français de la même époque, il prend un plaisir à mettre en scène des personnages en double jeu. Derrière la caricature se cache des personnes bien vivantes et contemporaines de l'auteur. Ainsi, Swift règle ses comptes. Alors, forcément, 300 ans plus tard, tout ceci semble un peu puéril. Il reste cependant que les vues de Swift sur le monde sont étonnamment modernes. Il suffit de parcourir le passage traitant de l'Angleterre et des habitudes de ses concitoyens dans le chapitre VI de la troisième partie des voyages pour s'apercevoir que, à une virgule près, on peut tenir le même discours actuellement : l'empreinte écologique et la mondialisation y sont purement et simplement décrites!
Sous couvert de voyages fantastiques, Gulliver nous livre un véritable traité philosophique. Tout y passe, à commencer par la question du point de vue. Question centrale du roman. Au fil des chapitres, on se remet en question, on devient malgré soi philanthrope. La perception que nous avons du monde, et de ses habitants par conséquent, diffère selon l'angle de vue. Nous sommes tributaires d'un conditionnement innée. Notre entourage, notre civilisation, notre espèce même nous dictent nos impressions, notre entendement. Nous sommes esclaves de notre style de vie. Il nous est difficile de nous mettre à la place d'autres personnes, alors de là à penser comme un crustacé et partager la vision d'une étoile… Ce même principe explique que pendant des siècles et d'après la simple constations visuelle, on a cru que le soleil tournait autour de la Terre, obstinément plate comme la main. On prétend que les voyages forment la jeunesse; dans le cas de Gulliver ils ouvrent l'esprit. Propulsé d'abord dans un monde miniature, il se retrouve plus tard dans l'exact contraire, devenu lilliputien lui-même. Cela en exprime long sur la différence qui ne doit jamais impliquer l'inégalité. Mais il ne s'agit là que d'humains après tout. Son séjour chez les Houyhnhnms dépasse de loin la notion d'espèce. Au contact de ces chevaux doués d'une grandeur d'âme qu'on ne rencontre guère chez les humains (pardon, les Yahoos), Gulliver va en arriver à exécrer sa propre espèce (Swift était misanthrope) et aura du mal à réintégrer le monde des hommes. N'allez toutefois pas croire que ces voyages se lisent comme un livre de philosophie avec migraine et mal de crane en perspective. On y rit beaucoup et le côté Rabelaisien, limite scatologique, ravira les plus jeunes d'esprit. On découvre les inconvénients de l'immortalité et la futilité voire l'inutilité des inventions scientifiques lorsque celles-ci frisent la psychose (j'ai immédiatement pensé au Catalogue des Objets Introuvables de Carelman ou encore au Codex Seraphinianius). Gulliver invite à l'altruisme. C'est l'anti Robinson Crusoé. Laissez donc s'exprimer le Gulliver qui sommeille en vous et efforcez-vous de regarder le monde par l'autre bout de la lorgnette.
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