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Critique de Sachenka


Qu'on en commun Dunstan, un moine du Moyen-âge, l'auteur romain antique Tacite et l'artiste de la Renaissance Brunelleschi ? Je n'aurais su le dire. Mais le lien, aussi ténu soit-il, a été fait par Miklos Szentkuthy dans son deuxième tome du bréviaire de Saint-Orphée, intitulé Renaissance noire. Je l'écris d'emblée, ça prend du courage pour se lancer dans cette lecture, cet exercice de style hautement intellectuel. Dans tous les cas, pour moi, ce fut une expérience enrichissante mais pas toujours facile d'accès.

En effet, Szentkuthy fait danser son lecteur à grands coups d'érudition. Et il faut suivre la cadence sinon, c'est fini. On décroche et l'on n'a plus envie de reprendre la danse. C'est que son histoire labyrintique est constituée d'un tourbillon, d'une avalanche de connaissances et de culture. Et pas générale, oh non, tout est d'une précision inouïe, d'une attention au détails hors du commun. Parfois, j'avais l'impression d'être emporté par un raz-de-marée, pire, un tsunami de savoirs encyclopédiques.

Mais jamais je n'ai eu l'impression que l'auteur étalait des connaissances accumulées un peu pompeusement. Plutôt, je sentais que j'avais affaire à un amoureux de l'histoire, de la philosophie, des arts. À un grand humaniste, comme en produisait jadis…

Ainsi, Miklos Szentkuthy nous propose de le suivre à travers les pensées (réflexions, supputations, tout ce que vous voudrez) de quelques personnages, essentiellement ceux mentionnés plus haut. Et ceux-là, plongés dans leurs savoirs, en évoquent d'autres à leur tour. Tout un voyage dans le temps !

Il faut savoir que l'on s'embarque dans des eaux mouvementées, troubles. Éléments, qu'un individu ordinaire n'a probablement vu passer que dans les notes de bas de pages des ouvrages généraux. D'autant plus que son histoire (si je peux appeler ainsi son ouvrage) ne fait pas de cas de la chronologie, encore moins des anachronismes. Par exemple, le narrateur établit une comparaison entre le vieux et laid empereur Tibère et un garçon d'une peinture de Matisse. Une autre fois, il insinue que son successeur Claude était une marionnette byzantine. Un peu plus loin, il lâche : « Tout le romantisme de Tacite, tout son rococo à la Philippe II apparaît en filigrane chez Sénèque. » (p. 54). Des effets de style bien volontaires, je serais le dernier à penser que Szentkuthy ne maitrise pas son «matériau».

Mais tout n'est pas si sombre. En fait, ça et là, on reconnaît des personnages ou bien des événements, tels des bouées de sauvetage auxquelles on s'accroche. En effet, même si on n'est pas féru d'histoire, de philosophie ou de musique, il est difficile de croire que certains noms comme Messaline ou Monteverdi n'allument pas une étincelle, même toute petite. Certains de ces noms sont mentionnés au passage, d'autres sont au centre d'intrigues, d'anecdotes intéressantes. Par exemple, j'ai beaucoup apprécié celle de l'impératrice Théodora, qui reproduit une scène de la Genèse en cueillant une pomme et lançant au pape : « Adam et Ève, remake à Byzance ! Je veux croire que vous accepterez la pomme de mes mains. » (p. 80) Très ingénieux et audacieux.

On cherche un sens à une telle réécriture de l'Histoire. Sans garantie de réussite. le secret ? Il faut se laisser guider par Miklos Szentkuthy sans trop se poser de question. Par exemple, moi, je suis encore en train de «digérer» cette lecture. Pour tout dire, tant qu'à être dans cet état d'esprit réceptif à une pareille expérience, j'ai immédiatewment enchaîné avec le troisième tome. Je me sentais courageux.
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