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Critique de Roupille


Rex est un bon chien. Un chien génétiquement modifié de 2m40, qui parle avec une voix d'outre-tombe, peut marcher sur deux pattes, possède des griffes rétractibles, sait utiliser des fusils d'assaut et se connecter aux réseaux informatiques plus sûrement qu'une connexion 5G chez Free, alors, il pourrait manger ma voiture ou me pisser sur la jambe, c'est un bon chien. Accompagné des membres de son escouade multiforme - Dragon, Miel et Abeilles -, il est en première ligne sur les champs de bataille quand gouvernements, milices ou compagnies privées n'envoient plus de soldats humains, et obéit aveuglément à son Maître, qui lui désigne les ennemis à éliminer. Jusqu'au jour où la bête est libérée…

Adrian Tchaikovsky m'avait déjà fait forte impression avec son précédent Dans la toile du temps, dans lequel il explorait le développement d'une civilisation arachnide intelligente et sa coexistence avec l'humanité. Dans Chiens de guerre, l'auteur poursuit ses réflexions sur le rapport de l'humain aux autres intelligences, et y ajoute quelques questions contemporaines liées à la bioéthique, au développement des technologies ou au pouvoir, que celui-ci soit politique, ou étudié à un niveau plus individuel (nous parlerons ici davantage d'emprise).

Ainsi, quelques années dans le futur, Tchaikovsky imagine un monde dans lequel la guerre robotique a eu lieu… mais n'a pas fonctionné, la faute au manque de fiabilité des armes de guerre mécatroniques. Une nouvelle piste a été étudiée, consistant dans un premier temps à modifier, améliorer et conditionner de jeunes chiens pour en faire des armes ultimes de combat : obéissants, infatigables, non piratables… et dont la mort au combat est moins choquante pour l'opinion publique que des pertes humaines. Progressivement, les recherches et applications militaires sont étendues à d'autres espèces animales (mais pas les chats… sales bêtes !)

A partir de ce postulat, Tchaikovsky pose la question des limites de la bioéthique, constatant les dérives possibles de ces technologies sur un terrain militaire, mais aussi dans un cadre civil. Dans la première partie, il interroge sur la question de l'exploitation animale et l'utilisation d'autres espèces intelligentes en tant qu'armes dans la résolution des conflits de ce monde.
Il est également question de pouvoir. Ou plutôt, avec un regard désabusé sur l'humanité, de rapport de domination. Dans la toile du temps explorait déjà la confrontation entre l'humanité et une civilisation fondamentalement différente et dénonçait la propension humaine à vouloir écraser l'autre plutôt qu'à rechercher des synergies bénéfiques à tous. Son constat n'est pas différent dans Chiens de guerre, au détail près que le rapport entre humains et autres espèces est dès le départ biaisé par un rapport de domination entre les "maîtres" humains et leurs soldats animaux. Il interroge sur la toxicité de l'humanité, sur la responsabilité des actes de leurs "armes" biomorphiques, ainsi que sur la question des droits de ces êtres au statut indéterminé : animaux ? Machines ? Humains ?
Les dérives politiques, capitalistes et leurs conséquences militaires sur les populations civiles sont également dénoncées dans un propos toujours intelligemment amené.

Les réflexions sont toujours passionnantes, suffisamment développées sans que cela ne ralentissement le rythme soutenu d'une oeuvre aux indéniables qualités cinématographiques. En effet, à une époque où l'on peut regretter le manque d'ambition narrative des blockbusters au cinéma, nous avons avec Chiens de guerre un récit à la fois spectaculaire, extrêmement visuel, tout en conservant du fond et un propos intelligent. Si un producteur me lit…

Enfin, ajoutons à ces multiples qualités une narration "protéiforme" très réussie, Tchaikovsky alternant avec un talent certain entre le point de vue de Rex, dont les qualités intellectuelles se développent au fil des pages en même temps que la richesse du vocabulaire, et celui d'autres intervenants du livre, humains, animaux ou artificiels.

Il n'en faudrait pas plus pour que la photo soit parfaite, pourtant deux points nuancent un peu l'impression finale : premièrement une fin légèrement en-deçà en termes d'intensité et d'enjeux, et un manque indéfinissable, l'absence de ce "petit truc en plus", peut-être en termes d'émotions ou d'originalité, je ne sais pas, qui aurait permis au livre de marquer davantage son lecteur.

Reste une excellente lecture, tout à fait recommandable, et qui a le mérite de proposer, entre deux scènes d'action parfaitement menées, de vraies réflexions sur l'humanité et son rapport au monde qui l'entoure. Sujet toujours plus d'actualité…

Chiens de guerre est fait pour toi si… tu aimes la SF militaire, les livres simples et efficaces mais qui n'oublient pas l'intelligence du propos et les bons chienchiens

J'ai aimé :
- Réflexions passionnantes (bioéthique, rapport aux autres intelligences, pouvoir…)
- Narration protéiforme
- Style "cinématographique"

J'ai moins aimé :
- La fin en-deçà du reste du roman
- Manque du petit "truc en plus"
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