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Critique de Tempsdelecture


C'est un incroyable roman. Celui d'histoires d'amour, de désamour, entrelacées de réflexions historiques, géo-politiques, culturelles, ou même littéraires, sur un pays à l'identité hétéroclite, panachée, ou les acronymes sont légions, et ne sont pas forcément des plus évidents. Ce récit, pourtant mené par la voix du narrateur, se concentre davantage sur son histoire passionnelle, mais à bout de souffle, avec Fiza son épouse, et sur son incapacité à écrire, non seulement des articles valables, mais plus encore, le roman qu'il voudrait, celui détenteur d'une vérité certaine sur son pays. J'ai été attirée par ce titre justement par cette absence d'inspiration, cette peur la plus profonde qu'un écrivain puisse connaitre, cet écart entre sa volonté d'écrire et son incapacité à échafauder un roman qui le satisfasse.

Je me suis laissée gagnée par l'éloquence envoûtante de cette voix masculine venant des confins du nord de l'Inde, issu de son enfance dans les plaines du Gange, de Chandigarh, qui a vu naître sa relation avec Fizz, de la capitale Delhi. Cette voix de journaliste, d'écrivain, perdu, passionnément amoureux de sa femme. Une voix parmi tant d'autres qui cherche à livrer sa vérité – quelle vérité? – la sensibilité d'un homme qui avoue ses faiblesses, sa lâcheté, qui raconte, sensuellement, son amour, intensément physique pour sa compagne, surpassé par le respect qu'il éprouve pour elle. Cet hindou, de racine et de coeur, aussi profondément attaché à son pays, qu'il est agacé par lui, l'Inde qu'il voit s'enfoncer dans un népotisme funeste, encore trop embourbée dans ces souvenirs des siècles colonialistes anglais. Cet individu qu'il est parmi tant d'autres dans un pays qui ploie sous le poids des traditions, des cultures, des religions, de la hiérarchie des castes, et des conflits, forcément. Mais, je l'ai entendu de plus en plus clairement au fur et à mesure que ma lecture avançait, une voix qui s'est faite étouffer par l'immensité de son pays, par la multitude d'hommes, qui lui sont tellement semblables, prêts à tout pour se faire une place aux sommets. C'est une voix presque aphone, éteinte par l'amertume désabusée de détenteur, qui échoue à exister. Un homme qui doit redécouvrir sa capacité à s'exprimer pour savoir aimer Fizz à nouveau.


Le récit de cet écrivain inabouti est aussi, je le perçois comme tel, le fil de réflexion d'un homme sur sa nature profonde, à travers et au-delà de son histoire avec Fizz, d'hindou dans un pays en mouvance perpétuelle, en proie au rythme infernal de ses villes ardentes d'activité, qui ont même le pouvoir de terroriser ces Indiens, qui ont le malheur de s'y aventurer, aux conflits incessants entre communautés, aux ambitions personnelles voraces et insatiables. Un pays à majorité hindouiste mais gangrené par des attentats, ceux des minorités Sikh, par des dissensions religieuses, qui minent toute velléité d'unité nationale. L'auteur a fort à faire d'exposer les forces vives qui meuvent dans ce pays, les tensions qui sous-tendent son existence, et il accomplit sa tâche avec brio. le mélange de son récit, plus personnel, avec le discours historique et culturelle, est homogène. le lecteur n'est pas assommé par une masse d'informations informe, il dissémine ses digressions historiques, politiques, au compte-goutte, entre deux passages narratifs et le récit s'en trouve d'autant plus allégé. Ce roman est remarquablement bien composé, les mécanismes qui jalonnent leur histoire d'amour et voient sa personnalité s'assombrir au gré de son manque d'inspiration sont parfaitement décomposés et étudiés. La personnalité de Fizz est peut-être bien trop vite esquissée en faveur de celle du narrateur.

Dénué de toute croyance, cet homme, en prise avec un conflit intérieur est à la recherche désespérée d'une vérité à travers ce pouvoir rédempteur de l'écriture, miné par les petites ambitions de deux qui veulent se hisser dans ces hautes sphères. Récit d'une rédemption, pas seulement la sienne, celle de son histoire avec Fizz, de ce couple illégitime qui s'est aimé avant eux dans leur maison ancrée dans la montagne, Il a perdu ses illusions sur son pays, il est complètement athée, désabusé, vidé de toutes croyances, en lui-même, son histoire, son pays, son peuple, son art. Long, douloureux mais magnifique chemin, celui-là qui ne mène pas à cette vérité universelle qu'il recherche, mais la sienne.

C'est une écriture très sensuelle et langoureuse, ou les passages érotiques sont légions, doté d'un style très imagé, qui restitue aussi bien la brutalité de la beauté de son pays, de ses spécificités, des élans nationalistes, des velléités personnelles et financières, égoïstes, qui rongent son pays, qui rengorge pourtant d'un incroyable vivier de richesses humaines et culturelles. Une simplicité, une vision claire et sans parti pris, d'un homme qui appartient à la classe moyenne indienne, d'une société archi-hiérarchisée, scindée entre un les dernières traces de colonialisme, entre nawabs gloutons, écoeurants et despotes, un système de castes d'où les plus pauvres ne peuvent se sortir.

Loin de Chandigarh. J'y ai lu deux belles et tragiques histoires, liées l'une à l'autre à l'autre, par cette intensité rare, cette mixité dérangeante, j'y ai aperçu la fragilité d'un homme assommé par le pouvoir destructeur d'un environnement impitoyable, où l'individu est facilement noyé dans cette masse cacophonique d'individus, étourdi par ce tapage incessant, ankylosé par cette vie grouillante, mugissante, tumultueuse de Dehli.

Sept cents pages de lecture passionnante, haletante, ou l'on
sillonne d'une histoire à l'autre, celle du narrateur, de Catherine l'américaine, ou l'on suit les méandres d'un homme accablé par le chaos du monde qui l'entoure, perdu quelque part entre Hindous, Musulmans et Sikhs, n'appartenant ni aux ni aux autres, mais en recherche de vérité, de sa propre vérité, comme il finira par le découvrir. Des centaines de pages à essayer de cerner un pays, morcelé entre de multiples identités, religions, castes. Tarun J Tejpal m'a fait goûter à la littérature indienne, c'est avec plaisir que j'y reviendrai. Car je suis ressortie de ce roman avec la sensation de n'avoir à peine fait qu'effleurer la surface d'une culture fastueuse et féconde, qu'il me reste à découvrir, avec d'autres voix et d'autres histoires.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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