AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de motspourmots


"Quand j'étais enfant, il y a eu, dans mon autre pays, une révolution. Un moment de grâce, j'ai cru que le temps des dictateurs était terminé et que commençait le règne des poètes".

Quel rapport au monde a-t-on lorsque ses jeunes années ont été marquées par une révolution, le renversement d'un tyran et cette sorte d'éblouissement face aux lumières de la liberté si longtemps souhaitées ? Irina Teodorescu, née à Bucarest en 1979, installée en France depuis 1998 et auteure de trois romans écrits en français (dont je n'ai lu que Celui qui comptait être heureux) puise cette fois dans ses propres souvenirs pour nourrir son récit et, certainement, le personnage de Carmen, la narratrice. Son univers singulier, largement imprégné de l'univers des contes en est ici quelque peu modifié, à la fois tiré par le réel et sublimé par une sorte de poésie aussi désespérée que lumineuse.

Carmen, avocate à Paris apprend la mort du Grand Poète, la seule personne qui la rattachait encore à la Roumanie. Son père est mort, sa mère vit à Los Angeles et ses frères et soeurs sont dispersés. L'annonce de cette nouvelle la ramène à l'année 1989 où elle l'a vu pour la première fois à la télévision roumaine, monté sur un char, haranguant les foules... Elle avait dix ans, le mur de Berlin était tombé quelques semaines auparavant, le peuple roumain, le dernier sous le joug d'un dictateur communiste allait faire chavirer L Histoire. Plus tard, ils deviendront amis, elle qui écrit des poèmes depuis son enfance, lui qui l'encourage. Pour l'heure, l'année 1989 ne présente aucun caractère particulier et les souvenirs de Carmen, à hauteur de ses dix ans reconstituent les conditions de vie de sa famille, par petites touches, entrecoupées de documents d'archives qui rendent parfaitement compte de l'absurdité qui pouvait teinter l'atmosphère du pays. Il y a d'une part les cassettes enregistrées par Ema, la mère de Carmen, pour remplacer les conversations téléphoniques qu'elle ne pouvait pas payer avec son amie Marga émigrée aux Etats-Unis ; d'autre part certains rapports d'enquêtes sur la mère d'Ema et grand-mère de Carmen, surveillée par les autorités. Avec quelques moments surréalistes.

La puissance du récit naît peut-être de ces allers-retours entre passé et présent qui laissent percevoir l'état d'esprit de Carmen à jamais imprégné de ces moments particuliers et son regard, si interrogatif sur le comportement de ceux qui ne savent pas ce qu'est de vivre sous un tel régime. Des comportements d'enfants gâtés, qu'elle observe parmi ceux qu'elle défend ou qui brandissent des pancartes dans les rues. La beauté du roman tient certainement au bestiaire qui jalonne le parcours de l'héroïne, renard malchanceux, cigognes égarées, hérisson qui parle, chat volé, cochon ami puis salami, ours des Carpates, qui finiront, bien plus tard, par l'inciter à s'occuper des droits des animaux. "Repoétise-toi" ne cessait de répéter le Grand Poète à Carmen, seule issue permettant d'échapper à la folie du monde... et, qui sait ? Réinventer la vie. Quel magnifique conseil !

Le règne des poètes... si seulement !
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
Commenter  J’apprécie          100



Ont apprécié cette critique (10)voir plus




{* *}