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Critique de Luniver


La nation est un concept tellement évident aujourd'hui qu'il est difficile de se faire à l'idée qu'elle n'a que deux petits siècles de vie. Anne-Marie Thiesse expose dans cet essai comment sont nées les nations européennes modernes, et donne la liste des caractéristiques obligatoires qui se sont peu à peu imposées pour devenir une nation digne de ce nom.

L'aventure commence au milieu du XVIIe siècle : la vague de remise en cause de l'autorité atteint également la littérature : il faut faire tomber les Classiques gréco-romains de leur piédestal. Et, ô miracle, un écossais retrouve dans son pays natal une épopée tombée dans l'oubli depuis plusieurs siècles, dont les qualités d'écriture valent largement celles des oeuvres étudiées jusqu'à présent. Les quelques érudits qui contestent l'authenticité du manuscrit sont submergés par l'enthousiasme du reste du monde. D'autant qu'un peu partout en Europe, on retrouve également de précieux manuscrits attestant d'une culture locale brillante, malencontreusement disparue des esprits. Chaque région retrouve ainsi ses glorieux ancêtres. Mais attention, pas n'importe lesquels ! Personne ne voudrait d'illustres inconnus comme ancêtres : on retrouve parmi les élus les Celtes, les Gaulois, les Vikings, les Daces, ... qui ont marqué l'histoire d'une manière ou d'une autre.

L'opinion envers les gens proches de la terre s'en trouve bouleversée : jusque là méprisés, ils sont désormais considérés comme les seuls dépositaires de la mémoire du pays, conservant leur langue, leurs habits, leurs traditions, depuis des siècles, en dépit des changements politiques. Les patois locaux deviennent langue nationale, les vieilles nippes costumes traditionnels, les artistes sont incités à abandonner les thèmes mythologiques pour représenter les paysages nationaux. Chaque nouveau « trait typique » que découvre une nation se répand aussitôt parmi les autres : les musées nationaux se développent un peu partout une fois le premier construit, tout comme la recherche des anciennes chansons traditionnelles.

La thèse de l'auteure est assez forte, puisqu'elle démontre que le patrimoine d'une nation est pure construction. Les premiers érudits avaient une idée très précise de ce qu'ils devaient trouver dans les archives, et n'hésitaient pas à combler les trous eux-même : puisqu'on sait avec certitude que quelque chose a existé, ce n'est pas vraiment mentir que d'extrapoler un peu les données manquantes. de même, certains monuments « historiques » ont été reconstruit récemment, en fonction de l'image que se faisaient les bâtisseurs de ces bâtiments aussi importants, et ne sont pas forcément conformes aux originaux.

Quel a été l'intérêt de cette construction ? Malgré ses défauts, il faut reconnaître que la nation a réussi à créer des liens très solides entre des gens qui n'avaient pas grand chose en commun, et a très bien remplacé dans ce rôle les mécanismes féodaux. La nation permet aussi une certaine souplesse : les changements sociétaux sont peu de choses face aux liens de sang qui unissent tous les habitants. La contrepartie négative est que la nation est fondamentalement tournée vers le passé : c'était mieux avant, quand tout le monde vivait selon les coutumes ancestrales et que personne n'était contaminé par les idées étrangères. Avec pour conséquences bien connues la tentation d'éliminer ces éléments étrangers du pays.

L'auteur milite pour terminer pour une construction de l'identité européenne, aujourd'hui inexistante, mais qui pourrait émerger si on s'en donnait un peu la peine.

L'essai déconstruit beaucoup d'idées reçues et donne matière à réfléchir. le livre est copieusement fourni en exemples concrets. le seul reproche à lui faire est qu'il n'est centré que sur l'Europe, et ne considère que les cas qui ont bien fonctionné, mais plusieurs questions se posent : Y a-t-il eu des résistances contre les formations des nations ? Un état peut-il supporter qu'un état voisin parle la même langue que lui sans vouloir l'assimiler ? Comment former un état quand plusieurs ethnies cohabitent, mettant à mal la possibilité d'identifier l'ancêtre commun ? Mais ces questions peuvent sans doute difficilement être casées dans un livre de 300 pages.
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