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Citations sur La Création des identités nationales : Europe XVIIIe-XXe .. (21)

La nation a été intellectuellement construite comme un organisme immuable, toujours identique à lui-même à travers les vicissitudes de l'histoire. Le passage de la nation comme principe intemporel à l'État-Nation, organisation qui ne peut perdurer qu'en s'adaptant, met au jour cette contradiction entre fixité et évolution. Et fait naître une angoisse : la disparition de la nation. La nation éternelle, en s'incarnant, devient sujette à la morbidité et à la mortalité. C'est au moment où triomphe l'État-nation comme forme d'organisation politique par excellence, à la fin du XIXe siècle, que le discours sur la décadence de la nation prend toute sa force. Contemporain du biologisme social, il dénonce un effondrement interne qu'il attribue à une pathologie affectant le corps de la nation. Et il lance une exhortation : il faut régénérer la nation. Avec en arrière-plan deux perspectives médicales sur l'étiologie et le traitement des maladies : invasion de l'organisme par des agents agressifs ou consomption. Soit – c'est la version du nationalisme intégral, souvent xénophobe et antisémite – il y a dénonciation des germes délétères ou des parasites qu'il convient d'expulser du corps national. Soit – c'est la version la plus commune – l'affaiblissement est attribué à un oubli criminel par les nationaux de leurs origines, de leur tradition, de leur âme dans lesquelles ils doivent de toute urgence se retremper. La renaissance nationale est alors donnée comme un retour aux sources. Révolutions nationales et nationalismes réactionnaires se nourrissent de ces fantasmatiques diagnostics de décadence, récurremment prononcés au cours du siècle.
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Le principe herdérien d'incarnation de la nation dans sa langue, toujours actif, ne laisse cependant pas de faire problème à la fin du XVIIIe siècle. Roumain, estonien, finnois : ces appellations, alors, ne désignent ni une nation, ni une langue, mais une population définie par son statut social. Roumain, finnois, estonien sont en fait synonymes de « paysan ». Et il serait aussi incongru pour les maîtres des domaines de parler le langage de leurs paysans que de labourer les terres ou de garder les bestiaux.
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Les Gaulois étaient-ils des Celtes comme les autres ? Assurément non pour leurs descendants, qui jugent que la nation française ne peut avoir d'autre place que la première, dans le passé comme dans le présent. L'abandon d'un modèle culturel classique à bout de course [l'empire romain] et son remplacement par un nouveau ne conduisent pas au renoncement à la prééminence.
[...]
[Un auteur] affirme que les Gaulois ont constitué le plus ancien des peuples européens, que les mégalithes de Bretagne étaient leurs anciens lieux de culte et que le breton contemporain est du celte authentique. Grâce à la Bretagne, la France opère donc la conversion des antiquités gréco-latines aux celtiques sans perdre sa prééminence européenne. Et la presqu'île qu'on avait pu croire le haut lieu d'une insurrection dangereuse pour la République devient le prestigieux conservatoire de la plus glorieuse tradition ancestrale.
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Pendant la première phase, pluridécennale, de la construction identitaire, le leitmotiv constant est qu'il faut unir toutes les composantes de la nation et leur faire prendre conscience de leur commune origine. Et si l'accent, dans la détermination de l'appartenance à la nation, est mis essentiellement sur le critère linguistique, c'est qu'il est en fait remarquablement souple. [...] Et la filiation avec les grands ancêtres se traduit alors essentiellement en termes culturels. Le critère biologique, en revanche, marque des limites intangibles. On peut se convertir à une langue comme à une religion, mais pas à une race ; on peut acquérir une culture, on ne peut changer son sang. L'invocation à la race permet donc de trancher radicalement entre ceux qui appartiennent à la nation et ceux qui, quoi qu'ils fassent, lui seront toujours hétérogènes.
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À l'aube du XIXe siècle, les nations n'ont pas encore d'histoire. Même celles qui ont déjà identifié leurs ancêtres ne disposent que de quelques chapitres incomplets d'une narration dont l'essentiel est encore à écrire. À la fin du siècle, elles sont en possession d'un récit continu qui retrace un long cheminement dont le sens, malgré toutes les vicissitudes, tous les obstacles, est donné par le génie national. Histoire achevée si la nation a accédé à son indépendance, histoire qui annonce un prochain avenir radieux si le combat pour la liberté est encore à mener.
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Le XIXe siècle a été un siècle de bâtisseurs, de moderne et d'ancien. Les siècles précédents n'avaient pas particulièrement donné dans l'amour des vieilles pierres. Le possesseur d'un bâtiment ancien, s'il avait les moyens de la moderniser, s'empressait de le faire. Sinon, il s'en accommodait ou essayait de lui trouver un autre usage : d'un grange dîmière on pouvait faire une étable, d'un château pas trop écroulé une prison. Et si l'entretien était coûteux, l'édifice vivait sa dernière existence comme carrière de pierres. Dès lors qu'apparaît l'idée de nation, et donc d'héritage collectif légué par les grands ancêtres, la valeur d'usage doit désormais composer avec la valeur patrimoniale [...][D]étruire fait désormais scandale, au regard des intérêts de la nation. Le terme de « vandalisme » créé par l'abbé Grégoire, exprime bien cette nouvelle conception : il faut être un barbare étranger à la nation pour vouloir porter atteinte au patrimoine commun.
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La première période d'élaboration des identités culturelles nationales est particulièrement fertile en « manuscrits authentiques » miraculeusement retrouvés après des siècles d'oubli et aussitôt portés disparus : certains dévorés par les flammes, d'autres séquestrés au fond d'un couvent espagnol, dérobés par un rival envieux ou encore embarqués sur un navire en partance pour les Amériques.
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La mondialisation des échanges, la puissance des entreprises multinationales et la mobilité du capital financier restreignent les possibilités de contrôle des Etats sur la production de richesse et sa répartition. Les Etats européens doivent gérer les conséquences sociales de décisions économiques sur lesquelles ils ont de moins en moins prise. Des droits acquis au travers de lutte et de compromis dans le cadre des Etats-nations s'avèrent caducs: à quoi sert-il de faire grève contre une entreprise qui redéploie sa production au gré de la conjoncture? La souveraineté politique procède de la nation; mais l'Etat dans lequel elle s'inscrit voit sa propre souveraineté restreinte de facto par des agents économiques pour lesquels les frontières territoriales ne font plus sens.
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Le passage de l'indo-européen aux Indos-Européens puis aux Aryens, du linguistique au biologique puis au racial, correspond bien à l'apparition d'une nouvelle forme de détermination à l'oeuvre dans la construction identitaire. Pendant la première phase, pluridécennale, de la construction identitaire, le leitmotiv constant est qu'il faut unir toutes les composantes de la nation et leur faire prendre conscience de leur commune origine. Et si l'accent, dans la détermination de l'appartenance à la nation, est mis essentiellement sur le critère linguistique, c'est qu'il est en fait remarquablement souple. Les nobles magyars germanophones ou latinophones ont pu réaliser l'union avec leurs paysans en apprenant la langue de ces derniers, ou du moins une version "enrichie" et "affinée" de celle-ci. De même pour les élites suédophones de Finlande, rapidement converties à la nouvelle langue nationale. Et la filiation avec les grands ancêtres se traduit alors essentiellement en termes culturels. Le critère biologique, en revanche, marque des limites intangibles. On peut se convertir à une langue comme à une religion, mais pas à une race; on peut acquérir une culture, on ne peut changer son sang. L'invocation à la race permet donc de trancher radicalement entre ceux qui appartiennent à la nation et ceux qui, quoi qu'ils fassent, lui seront toujours hétérogènes. Elle désigne dans le Juif magyar, allemand ou français, maîtrisant parfaitement la langue nationale et tout disposé à participer à son illustration culturelle, l'étranger dans le corps national. Le succès croissant de l'idée de nation comme véritable base de l'organisation politique et sociale est la cause de ce recours à un facteur d'exclusion: se trouvent désormais en jeu la question des rapports de pouvoir au sein de la nation et la détermination des droits des individus. (...) La détermination raciale est une réponse simple à la recherche d'une hiérarchie: la "fraternité laïque" au sein de la nation n'est pas mise en cause, mais certaines catégories de la population en sont exclues. Les droits qui leur sont accordés ne sont que concédés et révisables selon l'intérêt supérieur de la nation. Et le même principe vaut pour le "droit des gens": poser que certaines nations sont racialement plus pures que d'autres, ou supérieures, justifie l'impérialisme alors même que le principe de création des nations pose initialement la souveraineté de chacune et leur égalité.
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Le Peuple, dans la première phase de la construction identitaire, tient surtout le rôle de fossile vivant garant de la reconstitution des grands ancêtres. Cette "fonction coelacanthe" s'atténue ensuite progressivement tandis que l'accent est désormais mis plutôt sur la "fonction Montesquieu". Le Peuple - il est désormais clairement spécifié qu'il s'agit de la paysannerie -, parce qu'il est tout près du sol, est l'expression la plus authentique du rapport intime entre une nation et sa terre, du long façonnage de l'être national par le climat et le milieu. L'âme de la terre natale aussi bien que le génie ancestral s'incarnent dans le Peuple des campagnes. Car l'enjeu n'est plus seulement l'inscription légitimante dans l'histoire mais aussi la détermination territoriale.

Les coutumes paysannes, initialement jugées dignes d'intérêt simplement comme vestiges de la culture ancestrale, deviennent aussi symboles de la patrie et référents éthiques. La paysannerie sert désormais à prouver qu'en dépit de tous les changements observables la nation reste immuable. Le lien entre la formation des Etats-nations, l'économie capitaliste et l'industrialisation est évident. La construction culturelle tient dans ce dispositif un rôle particulier: celui de sa dénégation. La nation relève de la modernité libérale, politique et économique, mais sa légitimité est fondée sur une antiquité et un déterminisme absolus. Elle se constitue en même temps qu'apparaissent de nouvelles classes, mais c'est la pérennité d'une paysannerie définie par son seul rapport privilégié aux ancêtres et à la Terre qui est alors constamment mises en avant. Les paysans que décrivent les études folkloriques du XIXème siècle n'ont aucun rapport avec les masses rurales miséreuses, encore moins les serfs, dont les possibles révoltes effrayaient encore peu auparavant le pouvoir. Ce sont des êtres de sagesse et de savoir-faire, libres et heureux, vivant pacifiquement dans des communautés harmonieuses une vie frugale mais sans souffrance et baignant dans la culture la plus authentique: antithèse totale des représentations du nouveau prolétariat urbain. La construction des nations et leur entrée dans la modernité se font à reculons: affirmation d'un hier bienheureux et intangible plutôt que promesse de lendemains qui chantent. Cette représentation sociale n'aurait pas été tant déclinée, durant tant de décennies, si elle n'avait pas été d'une grande efficacité mobilisatrice.
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