AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Prailie


Peut-être trompée par la présentation de la critique, j'attendais le portrait d'une mère étonnamment sportive - une jeune femme née dans les années vingt, grande nageuse, authentique pionnière de la nage crawlée... Mais il ne s'agit pas (ou à peine) de cela! Dans ses deux premiers tiers le livre de Chantal Thomas est en fait un retour poétique et rêveur sur sa propre enfance, une broderie de souvenirs autour de la plage et du rapport à l'eau, à la nage, avec de temps à autre de jolis développements sur les matières annexes (sables, eaux rouillées, vase, qualités de pluie...); sur les petits animaux des bords de mer, sur la sociologie des populations vacancières.
Dans la dernière partie la narratrice est devenue universitaire, puis écrivain. Elle voit sa mère vieillir inéluctablement, perdre la mémoire de ces plages qui avaient tant compté pour elle, et peu à peu jusqu'au souvenir de la nage....
Impossible de ne pas se sentir ému par ces dernières pages, et dans le début du livre, de ne pas se laisser prendre au charme de certains passages, à la beauté de l'écriture. Le livre vaut en outre par cette indéniable profondeur littéraire à laquelle l'auteure nous a habitués, et par des réflexions érudites qui viennent ajouter une pointe de sel à ce récit d'enfance. Par exemple quand elle évoque brièvement l'écrivain Colette, ou encore le Grand Siècle, dont elle est spécialiste.

Et pourtant, je n'ai pas été totalement séduite, en tout cas dans la première partie.
Le problème (à mes yeux) vient du mélange des temporalités: Mme Thomas prétend nous raconter la petite fille qu'elle a été, sur les plages de son enfance. Mais c'est la personnalité adulte de Mme Thomas qui habite cette petite fille... Par exemple lorsque dans la même phrase la narratrice cite Proust, un auteur que par définition on ne peut pas connaître dès le bac à sable, alors qu'elle vient tout juste d'évoquer le passage du "quat'pattes" à la station debout. Cela constitue pour moi, comment dire...? une incongruité temporelle. Pour ainsi dire une faute de goût (la phrase en question se trouve à la page 90).
Même ressenti pour le joli conte de la Princesse du Palais des mers raconté par Lucile, la petite camarade de plage... si élaboré, si surprenant dans la bouche d'une très petite fille que la narratrice elle-même se sent obligée de commenter le fait qu'il puisse être raconté au passé simple.
En somme, dans ce halo de merveilleux balnéaire que Chantal Thomas s'efforce de créer, sur fond de nage sportive et de mère épatante, je ne retrouve pas totalement la fraîcheur, la grâce bondissante de l'enfance, mais trop souvent quelque chose d'artificiel, voire frelaté.

Quant à ce point de vue très surplombant, ce regard d'entomologiste que la petite Chantal porte sur l'espèce humaine, alors qu'elle est supposée n'être encore qu'à l'âge des châteaux de sable, il m'a laissée perplexe (médusée?). Ainsi, p. 86: "Il n'y a pas que les algues et les coquillages à me figer en contemplations. L'humanité aussi présente des spécimens passionnants. ... J'aimerais pouvoir les prendre dans ma main, les manipuler comme mon théâtre de Guignol, mais s'agissant d'êtres humains, et non d'algues ou de coquillages, j'ai appris à mettre une certaine discrétion dans mon comportement....".
(Tssssss! Que de sagesse et de précocité chez cette enfant! Je me trompe, ou nous avons là de la graine de Grand Écrivain?).
De sorte que ce livre m'a trop souvent paru empreint de préciosités, et même de ridicules: par exemple ce glissement de "l'eau est bonne" à "Le Bassin m'est bonté". Ou encore cette insistance sur les yeux bleus dont la narratrice explique qu'ils lui seraient venus "par imprégnation" parce que sa mère a beaucoup nagé dans un certain lac... Et je m'interroge encore sur cette 4ème de couverture qui énumère avec gourmandise les différentes villes que la mère a habitées afin de se rapprocher de la mer - précisant même qu'elle avait échangé "le cap Ferret contre le cap Ferrat", comme si c'était, en soi, une chose hautement mirifique, digne de notre plus total ébahissement!

Chantal Thomas est l'auteur de "L'Echange des princesses", de "L'Esprit de la conversation au 18ème siècle", et bien sûr de "Les Adieux à la reine". Elle n'est donc pas tout à fait n'importe qui, et c'est pour cette raison précisément que l'on peut se montrer vétilleux, et même sévère, quand elle bascule dans des facilités - et dans une certaine complaisance narcissique dont elle semble pourtant si éloignée dans ses autres ouvrages, comme d'ailleurs dans ses interviews.
Je dirais néanmoins qu'au fil des pages le récit gagne en simplicité, en profondeur. Si dans la première partie j'ai souvent été agacée de voir Chantal Thomas prendre la pose en Jeune Poète de la plage estivale, je n'ai pu m'empêcher de me sentir profondément touchée par les dernières pages pleines de délicatesse qu'elle consacre à sa mère vieillissante.











Commenter  J’apprécie          113



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}