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Critique de Enroute


C'est une évocation triste d'une tristesse européenne, une tendance à s'apitoyer, à s'enfermer dans un passé qui bloque le présent, une hantise de la honte, qui mène à l'aspiration de la consolation comme on rafistole des pneus crevés, un éternel ressassement d'un épisode tragique, comme une exégèse biblique sans cesse reprise. Pour la dépasser, il faudrait une renaissance, faire du vertige un projet civilisationnel, une refondation linguistique et littéraire qui insinue la transformation de l'ancien dans la langue elle-même. Et c'est encore l'idée d'une langue unique qui revient, sous la forme d'une évocation, d'une vision : langue du passage, de la diaspora, le yiddish deviendrait la langue européenne...

Le second essai, "L'utopie linguistique", reprend la phrase d'Umberto Eco selon laquelle la langue de l'Europe est la traduction et propose un projet linguistique européen d'enseignement des langues et de la traduction...

Le premier essai s'apparente plutôt à un état d'âme, une évocation poétique, une rêverie langoureuse qu'un essai philosophique. Il prend l'envie de se dire que la réponse aux interrogations de l'auteur sur le flottement de cette tristesse européenne serait un retour du romantisme, ce goût macabre pour le passé, cette volonté de se souvenir de ce qu'on n'a pas connu, un âge d'or dont on déplore que la catastrophe l'ait effacé... l'option du yiddish comme langue européenne intervient sans heurts dans cette expression poétique et nostalgique. Côté rationnel, on pourrait se limiter à remarquer que se lamenter qu'on se lamente trop n'est que la démonstration de la suggestion que l'on fait et que l'on s'exonère d'envisager des solutions à la dissipation de sa peine, comme le plaisir que l'on a de vivre la tristesse - et que la proposition d'une langue européenne comme solution à un projet multiculturel n'a rien, ni d'entraînant, ni d'innovant... On pourrait seulement ajouter que faire de la langue même le moyen du souvenir revient à conceptualiser cette éternelle présentification d'une même histoire et pourrait bien instaurer l'idée qu'une seule langue ait la capacité à dire la vérité du souvenir : faut-il à l'Europe une langue sacrée ?... on pourrait enfin achever en faisant remarquer que le souvenir est un thème juif, que le yiddish..., et que faire du yiddish la langue d'une organisation politique... et l'Europe devient un autre Israël... où la recherche de l'universel semble remarquablement biaisée... reste que c'est une idée poétique, une fantaisie, un état d'âme... rien n'empêche, sans frustration, d'entrer dans la rêverie, qui en vaut bien une autre...

En revanche, le second essai se veut davantage démonstratif, si bien qu'il échappe moins à la critique rationnelle. Là aussi, on peut se limiter à faire remarquer qu'institutionnaliser la traduction revient à souder les langues, c'est-à-dire suggérer que les langues aient déjà tout dit, qu'elles soient éternellement figées, ce qui autorise à proposer, par cet assemblage rigide et tentaculaire de passage et de points de jonction... une nouvelle langue unique... Et que se passe-t-il si personne ne produit plus d'énoncés qui "valent" quoi que ce soit ? On aura une belle construction linguistique sans rien à dire... Faut-il traduire le vide, la répétition, le ressassement ?

Finalement, le soupçon de délicatesse né du charme du premier essai s'évanouit malheureusement à la lecture de la brutalité superficielle du second... et il ne reste plus à la tristesse qu'à noyer son chagrin dans l'oubli...
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