AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de afriqueah


Dans le bonheur conjugal, Tolstoi décrit plusieurs fois les bardanes, teigneux ressemblant aux chardons, laissant entendre le peu de soin accordé au jardin.
Dans Hadji Mourad ( El Hadj ?) , l'écrivain tente de couper une de ces bardanes sauvages, il n'y arrive pas, car elle se défend avec énergie ; il finit par l'abandonner, à moitié morte, commentant qu'elle avait chèrement vendu sa vie, alors que l'homme , dont lui, était un destructeur irraisonné: « il semblait qu'on lui avait tranché une partie du corps, qu'on lui avait labouré les entrailles, arraché un bras, un oeil et cependant elle restait debout, ne cédant pas à l'homme qui avait détruit autour d‘elle toutes les plantes, ses soeurs. »
Cette bardane, dit-il dans la dernière phrase de son récit, lui a fait penser au héros tchéchène, fier et incorruptible, et la métaphore de la bardane prend tout son sens, lorsque Tolstoï décrit la destruction et le pillage d'un village près de Grozny (la Féroce) par l'armée russe.
Depuis sa retraite mystique à Isnaïa Poliana, Tolstoï admire, se sent même inclus dans ce peuple debout, ce monde de musulmans, qui honorent leur Dieu, qui ont renoncé comme lui aux richesses de ce monde , dont la fierté l'émeut, et dont le héros Hadji Mourad se bat héroïquement, avec orgueil, debout, méprisant ces cochons de Russes, et voulant aussi se venger d'un autre iman, Schamyl , puis est obligé par amour, pour sauver les siens,, toujours avec honneur et panache, la tête haute, de faire la paix avec les Russes.

Si Tolstoï invente le personnage haut en couleur d' Hadji Mourad, et date de 1851 l'épisode, c'est pour mieux nous faire toucher du doigt la lutte des montagnards tchéchènes, héritiers des Huns, des Mongols et des Tatares, ralliés à l'islam soufi, jamais soumis malgré les invasions successives russes, ce depuis des siècles.

De plus Schamyl , cet autre chef charismatique et vrai personnage historique se rendra (comme Hadji l'a fait, à ses dépens) en 1859, et la fin de la guerre , longue, sanglante, où les deux forces se sont affrontées verra non pas seulement le massacre de Hadji,- raconté longuement et rappelant la mort du chardon - mais les déportations, l'exil forcé , la destruction totale d'une terre annexée sous la terreur.

Passionné plaidoyer contre la guerre, ( la guerre vue par une femme : « Des bouchers ! de vrais bouchers ! La guerre ? Quelle guerre ? Des assassins, voilà tout ! » où le futile héroïsme des cosaques « ils fumaient, plaisantaient, narguant la mort qui pouvait, d'un moment à l'autre, frapper l'un d'eux » jouxte la corruption des élites militaires.
Nicolas 1· paraît presque un pantin, le ventre saillant, contemplant la servilité de ses acolytes, pétri d'ego : « Qu'adviendrait-il sans moi, non seulement de la Russie, mais aussi de toute l'Europe ? », en fait le tzar a pour projet « d'extirper l'esprit révolutionnaire »(tiens, tiens) des Tchéchènes.
Revendiquant après-coup les décisions qu'il n'a pas prises, retors, cruel, donnant l'ordre de bastonner à mort un étudiant pour prouver que la peine de mort n'existe plus en Russie, il règne sur un Empire où la courtoisie diplomatique convole avec les basses trahisons, l'alcool et le jeu, les calculs et les rivalités.
Il va de soi que Tolstoï a pu écrire ce témoignage, son dernier écrit, parce que Nicolas 1· était mourant, et pour dénoncer des faits historiques qui nous sont précieux il a dû les dissimuler derrière un hommage intime et romantique envers cet orgueilleux combattant, Hadji.
La censure a frappé lors de sa parution en 1896, nous pouvons de nos jours lire l'édition complète de ce roman, un peu long sur la fin, témoignage de la séculaire guerre menée par l'Empire Russe.


Commenter  J’apprécie          5728



Ont apprécié cette critique (53)voir plus




{* *}