AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ODP31


Un concentré de littérature.
Tolstoï était un génie, mais pas un génie comique. Il n'avait pas un facies de bonnes nouvelles. Même avec un nez rouge et sans sa barbe taillée à la faucille, il n'aurait pas prêté à sourire.
Sacré challenge donc de s'amuser avec ce petit roman, beaucoup plus court que l'agonie de son personnage.
Avant d'être mort, Ivan Ilitch fut un bureaucrate du tsar ambitieux. Il avait les dents longues, ce qui est pratique pour mâchouiller son boeuf Stroganov surgelé et pour rayer les parquets des puissants à force de courbettes, mais pas suffisant pour ronger le fil de son destin. Avant de rejoindre le trou de sa tombe, il avait su ainsi faire son trou dans la haute société, préférant les privilèges à l'éthique, pour devenir haut magistrat. En supplément, il avait su aussi épouser une jolie fille de bonne famille pour son plan épargne logement. Les mortels sont prévoyants.
Patatras, suite à une blessure anodine, l'ambitieux devenait invalide et si les devins en blouse blanche avaient du mal à augurer la suite, les diagnostics n'en faisaient pas un favori pour le prix Jeanne Calment de la longévité.
Comme le trépas ne figurait pas dans son plan de carrière et qu'il ne trouvait pas une date disponible pour ses obsèques dans son carnet mondain, Ivan allait d'abord s'obstiner à vivre dans le déni de sa maladie. A l'aveuglement allait succéder dans le désordre de l'âme, l'inquiétude, puis les terreurs nocturnes, la colère, le sentiment d'injustice, la prise de conscience d'une mort prochaine et de la vacuité de sa vie. Une lecture à déconseiller aux dépressifs et aux coachs en développement personnel.
Tolstoï excelle dans la description des tourments du malade, la valse des moments d'espoir et de désespoir. Ce n'est pas le tableau clinique que peint l'écrivain : c'est la révélation de la finitude. Une démonstration universelle en moins de cent pages, la force d'une évidence, pour un questionnement pourtant qui révèle tant de l'intime, à l'aide d'une prose qui excelle dans le réalisme en insistant sur l'ambivalence des hommes face à la maladie et la mort. Une concision bien supérieure à celle de cette dernière phrase qui veut trop en dire.
L'autre marotte du géant barbu, c'est la déchéance morale de la société russe. Il insiste tellement dans son récit sur l'intensité des souffrances physiques et psychologiques du personnage que cela finit par ressembler à une séance de torture pour lui faire expier une existence sociale superficielle détachée des valeurs morales qui tourmentaient tant le père Léon.
De ma première lecture de ce roman, il y a une bonne vingtaine d'années, j'avais surtout gardé le souvenir des larmes de crocodile des proches du défunt autour de sa dépouille, entre une veuve préoccupée par la succession, des amis pressés de retrouver leur partie de cartes et des collègues qui allaient profiter du trou dans l'organigramme. Un bal des cyniques pour une veillée funèbre très bien orchestrée par l'écrivain.
Cette deuxième intrusion dans ce roman m'a surtout impressionnée par cette sublime évocation de l'extrême solitude du personnage face à la maladie et la mort, comme un prélude à l'éternité.
En résumé, Ivan, côté santé, c'est pas terrible.
J'avais prévenu que Tolstoï n'était pas un rigolo.
Commenter  J’apprécie          982



Ont apprécié cette critique (95)voir plus




{* *}