AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Comme son titre l'indique, ce recueil regroupe les histoires courtes dessinées par Alex Toth pour les magazines d'horreur Creepy et Eery. Il comprend 21 récits, initialement parus entre 1965 et 1975, tous en noir & blanc. Alex toth a encré toutes ces histoires. Il en a dessiné 17 sur 21. Il a donc encré 1 histoire dessinée par Leo Duranona, 1 par Leo Summers, 1 par Romeo Tanghal, et 1 par Carmine Infantino. Toth a écrit le scénario de 4 de ces histoires. Les autres scénaristes sont Archie Goodwin (8 histoires), Gerry Boudreau (1 histoire), Rich Margopoulos (1 histoire), Roger McKenzie (2 histoires), Doug Moench (1 histoire), Nicola Cuti (1 histoire), Bill DuBay (1 histoire), et Steve Keates (2 histoires). le tome commence par une introduction de 2 pages de Douglas Wolk, situant le contexte éditorial de ces récits, ainsi que pointant les particularités des dessins d'Alex Toth.

Le principe des anthologies Creepy et Eery était de proposer des histoires courtes, entre 5 et 9 pages pour celles présentées ici, en noir & blanc. Seules 2 histoires se suivent avec un personnage récurrent (les 2 dernières). Au cours de ces 21 histoires, le lecteur va donc découvrir une entreprise de pompes funèbres qui récupère des cadavres pour arrondir ses fins de mois, un individu victime d'hallucinations (il croit que des extraterrestres viennent pour l'enlever, un autre qui cauchemarde qu'un individu à lunettes veut le perforer avec une arme tranchante, un voyage dans le temps, une enquête policière sur une série de meurtres dans un parc d'attractions.

Et ça continue : une cellule dont il faut trouver le code, une soucoupe volante, un robot, des ruines sur une île déserte, des investisseurs tentant de spolier un inventeur de son invention, une épidémie foudroyante, une jeune femme isolée au milieu des confédérés, un tour de prestidigitation inexpliqué, un architecte inspiré, et même un vampire.

Les années ayant passé, le lecteur actuel ressort forcément impressionné par la diversité des récits. Certes il est essentiellement question de vengeance, de meurtre et d'entourloupes. Néanmoins en 160 pages, ces nouvelles auront mis en scène des individus variés, allant d'employés des pompes funèbres à un architecte hors pair, en passant par des banquiers véreux, un propriétaire de parc d'attraction, un pilote d'avion de l'aéropostale, un acteur de l'âge d'or du cinéma muet, un laborantin d'une installation d'étude des maladies contagieuses, un peintre, un survivant dans un monde post apocalyptique, etc. Dans cette diversité, les auteurs des magazines Creepy et Eery s'affirment comme les héritiers légitimes des EC Comics des années 1950.

En termes de narration, les scénaristes de cette anthologie sont un peu moins bavards que ceux d'EC Comics (Al Feldstein et William Gaines), encore qu'ils bénéficient d'un format plus grand (un peu plus grand que celui des comics), ce qui atténue quelque peu le volume relatif des phylactères et des cellules de texte par rapport à la taille de la page. Chaque histoire se lit donc facilement, sans agacement dû fait du volume raisonnable de texte. Leur qualité dépend ensuite de l'originalité de la chute de l'histoire. Celles-ci se terminent avec une chute relevant de la justice poétique. Tout l'art du conteur réside dans sa capacité à imaginer une fin prenant le lecteur par surprise. C'est d'autant plus difficile que le lecteur sait par avance que c'est la règle du jeu, et qu'il en a déjà lu plusieurs (voire qu'il a lu celles des EC Comics). de ce point de vue les auteurs de cette anthologie se situent en cran en dessous d'al Feldstein et William Gaines.

Un autre critère rentrant en ligne de compte de l'appréciation du lecteur est la capacité des scénaristes à faire exister leurs personnages, à leur donner un peu d'épaisseur, malgré le nombre réduit de pages. Pour ces histoires, ils éprouvent quelques difficulté à dépasser les stéréotypes de ce type de récit, que ce soit le criminel aux abois, le sosie d'Humphrey Bogart (interprétant Sam Spade), le laborantin aigri, ou le prestidigitateur aux allures méphistophéliques.

Dans l'introduction, Douglas Wolk souligne que l'une des particularités d'Akex Toth dans ces histoires est son manque de cohérence graphique de l'une à l'autre, ou (du point de vue opposé) sa volonté d'expérimenter. La seule constante est sa manière de jouer avec les aplats de noir pour donner du poids à la page, du sérieux à ses personnages, et des zones d'ombre au récit. Pour le reste effectivement, presque chaque histoire présente une facette différente du talent de cet artiste.

Dans a première, le lecteur peut apprécier la manière dont il joue avec les ombres chinoises, ainsi que celle dont il s'inspire des films classiques du patrimoine de l'horreur pour recréer ce cimetière de petit village. Dans la deuxième il a recours à de grandes cases pour montrer comment l'individu semble écrasé par les apparitions d'extraterrestres. Dans la suivante, les angles de vue sont tous un peu penché pour traduire le trouble intérieur de ce monsieur assailli par ces visions d'un individu cherchant à le poignarder avec une lame.

Dans "Out of time", le lecteur retrouve AlexToth dans le mode pour lequel il est resté célèbre : celui de l'épure. Les silhouettes et les décors sont comme mangés par de gros aplats de noir. Les décors sont tracés à l'aide de quelques traits gras bien noirs. La puissance de la composition de chaque case n'a d'égal que son élégance. Avec l'histoire suivante, Alex Toth revient dans un registre plus descriptif, avec un personnage qui ressemble vraiment à Humphrey Bogart. Pui on passe à un récit plus conceptuel, celui d'un individu enfermé dans une cellule cubique. Il faut tout le savoir-faire de l'artiste (disposition des cases, variation des angles de vue, jeu géométrique) pour donner vie à ce récit très épuré.

Avec Tibor Miko, l'auteur fascine le lecteur par une histoire d'avion de l'aéropostale poursuivi par un OVNI, grâce à son sens de la spatialisation qui rend les acrobaties aériennes très concrètes, malgré le manque de repère dans le ciel. Ainsi d'histoire en histoire, le lecteur relève ces innovations, ces expérimentations qui attestent de la versatilité de cet artiste, et de sa force de conviction. À mi-ouvrage, il arrive à "Proof positive" dont les planches sont orientées en format paysage et dont est extraite la case qui sert de couverture (un choix un peu surprenant, et une case beaucoup plus saisissante dans le récit). Il convient de mentionner "The reaper" dans laquelle Toth oppose des aplats de noir massif, à des traits très fins pour détourer les silhouettes, pour un contraste maximal.

Avec "The killing" qui se passe dans une plantation pendant la guerre de sécession, le lecteur prend conscience de la dette que Jordi Bernett (dessinateur de Torpedo) doit à Toth. Il constate également que ce sont les dessins qui donnent de la consistance à cette histoire de vengeance. Les personnages existent essentiellement par les dessins, plus que par les dialogues ou par leurs actes. L'action se déroule de nuit, dans une demeure peu éclairée, avec un contraste magnifique entre le noir et le blanc.

Il y a donc également 4 histoires dessinées par un autre artiste qu'Alex Toth, et encrées par lui. Dans "Malphisto's illusion", le lecteur voit que le découpage est plus tassé que celui de Toth. Par contre, il reconnait de ci de là son coup de pinceau pour épurer les lignes et augmenter les contrastes. Dans "Jacque Cocteau's circus of the bizarre", il embellit les dessins de Carmine Infantino. Les dessins de ce dernier lui laissent plus de loisir pour travailler en ombre chinoise, et en silhouettes débarrassées du superflu. Sur un scénario simpliste, il installe une atmosphère palpable qui porte à elle toute seule, tout le suspense. On peut terminer avec un récit survivaliste post apocalyptique écrit par Archie Goodwin. Toth se retrouve à réaliser des images pour montrer le glissement progressif du personnage dans une paranoïa destructrice. Chaque case est calibrée pour montrer les gestes enfiévrés du protagoniste et les quelques éléments nécessaires à la narration. C'est presque surnaturel de constater qu'avec 4 tâches noires, et une douzaine de traits gras, Alex Toth a dessiné 3 individus assis par terre en train de se réchauffer autour d'un feu.

De prime abord, le lecteur peut se demander si cette anthologie vaut vraiment le coup. le tome Bravo for adventure fournit un excellent exemple de l'art épuré d'Alex Toth et ne semble pas appeler de complément. Néanmoins ce recueil comprend des récits tout aussi remarquables par le travail de composition, ainsi que des exemples de la versatilité de cet artiste.
Commenter  J’apprécie          32



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}