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Critique de 4bis


On pourrait gloser sur nos vies mondialisées, tenter de remonter les histoires particulières et les flots collectifs qui font les migrations, les itinéraires. Reste que certains parcours suscitent une admiration particulièrement estomaquée. Les soeurs Thanh-Van et Kim Tran-Nhut sont nées au Viet-Nam. Elles ont vécu aux Etats-Unis, fait leurs études en France et sont retournées en Amérique. Elles sont brillantes, titulaires de diplômes prestigieux dans le domaine des sciences et sont autrices de la série des enquêtes du mandarin Tân, jeune magistrat d'un Viet Nam du 17e siècle. Rien que ça !

Conçu à partir d'une « figure mythique de la famille », un arrière-grand-père maternel, reconnu pour avoir accédé très tôt aux fonctions de mandarin, le mandarin Tân est un personnage qui doit faire face tant aux intrigues matrimoniales de mères en quête d'époux pour leurs filles que de mystérieux cadavres. C'est à la fois plein d'humour et érudit. Mais ça, c'est ce que j'ai reconstitué d'après quelques clics parce que, de ces enquêtes, je n'en ai lu aucune. Moi, j'ai lu Les travers du docteur Porc qui voit l'arrivée du personnage éponyme, chargé d'administrer les affaires courantes du mandarin Tân tant que celui-ci est parti pour un grand voyage.

Le titre déjà m'avait interloquée. le jeu de mots sur les travers de porc m'avait paru décalé, osé, ostensiblement et presque grossièrement anachronique. J'ai accusé un traducteur peu scrupuleux jusqu'à me souvenir que ce roman avait été écrit dès l'origine en français. Allons bon, voilà qui rompt avec le stéréotype de finesse et de délicatesse que j'attribuais avec autant de condescendance que d'aveuglément aux milliards de femmes asiatiques qu'a compté et que compte encore ce continent… Il faudra faire avec un roman qui revendique la gauloiserie anachronique dans un Viêt-Nam de fiction.

Les premiers mots m'ont plongée dans une poésie botanique qui m'a enchantée : « les frondes nervurées de pourpre » des « touffes de fougères frangées », « les panaches argentés [qui] semblaient flotter au-dessus de leurs ombres devenues solides », voilà de quoi me happer. La suite campe rapidement une situation érotico épineuse. le jeune Hong, cueilleur de simples pour un apothicaire avide, va rencontrer l'affriolante Mme Camélia et vivre quelques moments de délice avec la belle avant que les choses ne se gâtent sérieusement. Des chauve-souris, des esprits, une malédiction, une avidité sexuelle débridée et un cadavre passablement décomposé, nous aurons un peu de tout cela pour la suite.

Et puis, le docteur Porc. Son visage d'une beauté surréelle, son corps obèse qu'il fait transporter dans un hamac dans tous les lieux nécessaires à l'élucidation de son enquête, au grand dam de ses porteurs éreintés. Sa gourmandise pour les petits pâtés de viande et autres délices, sa méchanceté sans scrupule, son orgueil à la mesure de son ventre. le docteur Porc : un monument.

L'enquête n'a pas la finesse machiavélique d'une plume vraiment noire. Ce serait quoi qu'il en soit impossible de tenir le fil d'un suspens efficace avec tous ces personnages hauts en couleurs, ces saillies langagières, ces situations cocasses. L'exactitude érudite qui permet de découvrir un lieu et une époque inconnus n'empêchera aucunement les gags, les jeux de mots, les clins d'oeil. Que ceux qui aiment qu'on se prenne au sérieux passent leur chemin.

Pour les autres, ces Travers du docteur Porc sont une curiosité piquante et délicieusement gratuite, le fruit léger d'un métissage entre de multiples traditions littéraires, un petit plaisir de lecture intelligent et sans prétention.
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