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Citations sur La vie caméléon : mémoires sans nostalgie d'une Allemande.. (2)

Dans le camp de Moschwig, j'ai connu pour la première fois de ma vie, la faim. La vraie faim, celle qui vous tenaille, qui vous tord les boyaux, qui vous empêche de dormir, faisant miroiter des images de plats succulents qui vous font monter l'eau à la bouche, mais tout ce qu'on a dans la bouche, c'est de la salive.
Une blague circulait en ces temps-là : « C'est pour quand la fin de la guerre ? » « Quand Göring pourra mettre l'uniforme de Göbbels ». Nous y étions presque !
Le camp était prévu pour une centaine de gamines et nous étions plus de trois cents. Mais le ravitaillement, vu le chaos général et les bombardements quotidiens, était toujours prévu pour cent Arbeitsmaiden, et ceci en rations de guerre. Nous avions entre seize et dix-neuf ans, et le solide appétit de notre âge était encore redoublé par le travail très dur que nous devions accomplir et le cafard qui nous rongeait le soir, dans nos couchettes superposées, quand nous pensions à nos familles dont nous étions sans nouvelles. Seuls les faire-part de « mort héroïque sur le champ d'honneur » arrivaient parfois jusqu'au camp.
Je me souviens d'une camarade assignée aux cuisines, une belle fille brune, très gentille, qui distribuait la soupe du soir ; elle cédait si souvent aux yeux implorants des filles qui tendaient leur assiette ébréchée à travers le petit guichet de cuisine qu’à plusieurs reprises il ne lui resta plus rien pour elle-même, juste la casserole à lécher.
Un soir, alors qu'elle avait le bras droit plongé jusqu'aux coudes dans le chaudron fumant de soupe à l'eau et aux rutabagas douceâtres, on l'appela pour lui annoncer sans ménagement que son frère venait de mourir aux portes de Berlin. Elle laissa tomber son écuelle, dénoua son tablier sale et s'assit sur un tas de sacs vides sous l'escalier, où elle sanglota sans retenue.
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Tout foyer allemand était tenu de posséder un Volksempfänger, littéralement un « récepteur du peuple », que les gens appelaient Göbbelsschnauze, gueule de Göbbels. Ce petit poste minable, noir, rond et laid, avait en effet une certaine ressemblance avec la tête de notre ministre de la propagande. Il coûtait une somme dérisoire et était allumé pratiquement jour et nuit. Les Allemands étaient-ils vraiment assez naïfs pour ne pas se rendre compte qu'il ne servait qu'à mieux endoctriner et désinformer les masses jusque dans les fermes les plus isolées, des alpages bavarois jusqu'aux Halligen1 frisonnes de la mer du Nord ?
Pour nos journaliers, logés dans des maisons appartenant à mon père, qui ne possédaient que quelques meubles dont le principal était une desserte avec des tasses multicolores qu'on ne sortait que pour les baptêmes, les enterrements, ou les visites de ma mère, eux qui n’avaient qu’une vache, un chien de garde galeux et une douzaine d’oies qui en hiver, dormaient dans la cuisine ou sous le lit conjugal, posséder une radio semblait le comble du luxe.
Nous avions également acheté un poste pour les domestiques, car les jours où le Führer faisait ses grands discours publics, tous les patrons étaient obligés de rassembler leur personnel. Ils devaient contrôler que personne ne s’était esquivé pour piquer un roupillon ou se baigner dans le lac au lieu d’écouter les harangues ponctuées de « Sieg-Heil » et de fanfares, qui s’achevaient sur un pathétique « Un peuple, un pays, un guide ». Pendant ce temps-là tout le travail de la ferme s’arrêtait. Une femme pouvait accoucher, une vache vêler, le feu prendre dans une grange, personne ne se serait dérangé. Je ne pense pas, après avoir vécu cinquante ans en France, qu'un Hitler aurait pu ainsi réduire tout un peuple à des marionnettes, à des songe-creux, à l'ouest du Rhin.
Après chaque discours, surtout après l'invasion de la Russie, mon père disait, avec une voix grave « Cela va mal se terminer ». Et le soir, mes parents écoutaient sur leur grande radio d'avant-guerre, après avoir fermé toutes les portes à clé et recouvert le poste d'un duvet, « London calling, London calling, here is London, here is London, boum, boum, boum, boum, boum ».
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