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Critique de domi_troizarsouilles


Voici un livre que j'avais depuis un moment dans ma PAL, peut-être depuis ma lecture de la série « Frère Cadfael » dans la même collection Grands Détectives, série que j'ai lue (en entier !) il y a… hum, plus de 25 ans ! Je pense que c'est cette série-là qui m'avait encouragée à découvrir d'autres détectives plus ou moins historiques, dont j'ai lu un certain nombre de livres : je peux citer Nicolas le Floch (série arrêtée après quelques tomes cependant, car le royalisme excessif du personnage m'avait agacée) ou l'inénarrable Mma Ramotswe (dont je garde un excellent souvenir, même si une relecture plus récente de l'un ou l'autre tome lui ont donné un goût désuet que je n'avais pas perçu lors de ma première lecture).
Tout cela pour dire : notre Soeur Fidelma s'inscrit clairement dans cette lignée de héros « policiers malgré eux » à qui on s'attache très vite et sans condition, quel que soit le contexte où ils/elles évoluent – et ici, clairement, l'histoire de l'émergence de la Grande-Bretagne au VIIe siècle, pour moi c'était le grand inconnu !

Cela étant dit, ce livre aurait pu rester encore longtemps dans ma PAL démesurée, si le défi du mois dans le challenge Mauvais genres ne l'avait pas fait ressortir… mais que dis-je ? En fait, non…
Ma PAL est non seulement débordante, mais en plus elle a réellement une forme de (nombreuses) piles disséminées dans l'appartement, en attendant de pouvoir être casées dans une maison où nous finirons peut-être nos vieux jours entourés de livres. Mais en attendant, ma recherche de ce livre s'est apparentée à une séance de fouille archéologique, soldée par… un échec ! J'avais acheté d'occasion (à l'époque à bon prix, désormais on ne la trouve plus qu'à prix d'or) l'édition originale de 2004 avec sa couverture bien colorée, mais ne l'ai plus retrouvée ! Dépitée, je me suis tournée vers l'ebook, bah oui, car tout à coup j'étais bien décidée à le lire quand même, ce livre !

Et donc, après toutes ces circonvolutions, entrons (enfin !) dans le vif du sujet : qu'ai-je donc pensé de ce livre ? D'abord, j'ai apprécié d'apprendre pas mal de choses, dans le contexte très bien rendu du « concile de Whitby » (voir notamment Wiki, qui n'est sans doute pas la source la plus complète, mais ça donne une idée en quelques mots : https://fr.wikipedia.org/wiki/Concile_de_Whitby ) - petite ville appelée Witebia dans le livre, une « note historique » en informe d'emblée le lecteur, mais il est difficile de savoir si c'est son nom irlandais, ancien ou juste un choix plus ou moins hasardeux de traduction. Et donc, j'ai beau avoir eu une éducation en partie religieuse (catholique) assez étendue, je n'avais jamais entendu parler de différences de forme dans le culte de l'autre côté de la Manche, entre une tradition irlandaise héritée d'une évangélisation précoce (ah Saint Patrick!) et fortement teintée de culture celtique, et une tradition alors encore romaine venue plus tardivement chez les Saxons. Je ne savais pas non plus que ces différences avaient fait l'objet de débats plutôt houleux – et c'est cela-même qui est si bien décrit, Peter Tremayne ne laisse aucune illusion sur « l'esprit chrétien » de ces prélats et autres religieux tellement divisés, parfois violemment, autour de quelques détails pratiques (célibat ou non, ou la date à laquelle fêter Pâques), alors qu'ils sont censés être animés par la même foi : c'est aussi hallucinant que criant de réalisme, et n'est pas sans rappeler d'autres épisodes beaucoup plus récents, de divisions virulentes entre chrétiens (pour des raisons politiques, aussi, on le sait) de ce même côté-là de la Manche, hélas !

Plus discutable, mais tout aussi prenante, est la nette différence que l'auteur marque entre les Irlandais, selon lui plutôt policés, héritiers d'une tradition ancienne les ayant menés à une culture avancée avec un système politique stable et bien organisé, et les Saxons, conquérants pleins de fougue et de hargne, sans cesse en guerre ou en complot les uns contre les autres malgré un roi qui semble peu à peu s'imposer en suzerain pour tous, violents et aux méthodes (punitives notamment) excessivement barbares. Cette distinction est tellement poussée que je me suis demandé si l'auteur n'était pas lui-même irlandais… mais non, il est bien anglais, et serait « juste » spécialiste en études celtiques. Au point de faire des Irlandais du VIIe siècle un peuple fabuleux, face aux barbares saxons ? J'avoue que je ne sais trop qu'en penser, si ce n'est que ça rend soeur Fidelma éminemment sympathique mais un brin artificielle parfois : elle est « trop » dans tout ce qu'elle fait, pense, ou dit. Certes, on l'accepte car ça fait partie de son charme et ça sert l'histoire ; reste à voir si cet aspect se confirme ou s'allège dans les tomes suivants – mais ça, c'est une autre histoire !

Quant à l'intrigue, elle est assez convenue. On a un meurtre incompréhensible mais qui peut être expliqué de plusieurs façons dans le contexte évoqué ci-dessus, véritable poudrière politique. On mande alors Fidelma, en sa qualité reconnue de spécialiste en droit irlandais, pour résoudre l'affaire, et pour faire bonne mesure, on lui adjoint le jeune religieux saxon Eadulf. Il est à noter que ce dernier est lui aussi bien sympathique : même si ça ne se dit pas tout à fait clairement dans ce tome, mais ça se laisse entendre (et plus encore dans le cliffhanger final qui annonce le tome 2), on l'imagine bien comme un possible prétendant de la jeune femme, dans cette tradition chrétienne celtique où les communautés mixtes existent ; il restera cependant toujours plus ou moins dans l'ombre de la jeune femme, l'auteur ayant résolument opté pour une perspective du point de vue de Fidelma.

Ainsi, tandis que le roi gronde (gentiment), que ses opposants s'énervent au rythme de l'avancée du Concile, Fidelma suit tranquillement sa route à la recherche de la vérité, rassemblant des indices qui la mèneront à la résolution de l'enquête lors d'un déballage final – un grand classique dans les policiers « traditionnels » ! C'est une technique de polar que, d'habitude, m'irrite beaucoup : ces auteurs qui s'amusent à masquer une vérité dont les clés utiles (parfois des pans entiers!) ne sont données que tout à la fin, pour moi c'est du mauvais ouvrage, où l'auteur veut montrer une certaine suprématie qui gâche le plaisir du lecteur (je trouve).
Ouf, ce n'est pas le cas ici ! Certes, il y a quelques éléments qui sortiront du chapeau de l'auteur à la dernière minute pour confirmer le tout . Néanmoins, la plupart des indices qui mèneront à la résolution, sont semés intelligemment tout au long du livre, et un lecteur avisé peut assez vite avoir une idée de qui est le meurtrier. Par ailleurs, l'auteur joue également avec quelques fausses pistes, mais apparemment sans trop y croire lui-même : elles sont tellement « grosses » qu'on se doute qu'il ne faut pas trop les suivre, tandis que la piste principale est très largement ouverte malgré les quelques inconnues qui subsisteront jusqu'au bout. Je me demande si cette technique d'écriture d'un polar, assez convenue comme je disais plus haut, est liée à l'époque où ce livre a été rédigé (1994 quand même pour la vo, même s'il n'a été traduit que 10 ans plus tard), et jusqu'à quel point l'auteur se sera mis « au goût du temps » dans les opus plus récents – il me reste juste 31 tomes à lire pour le vérifier ! Avec tout ça, même si la confirmation de la résolution vient un peu abruptement, l'histoire se tient de bout en bout et laisse le lecteur satisfait, avec un petit goût de cliffhanger en compagnie de Fidelma, qui semble bien poursuivre ses aventures avec Eadulf…

En résumé, je peux donc dire que j'ai apprécié ce livre pour ses aspects historiques bien rendus et très réalistes, qui ne sont pas sans faire écho à certaines situations bien plus récentes de divisions au sein d'une même religion, tandis que l'intrigue policière se construit de manière assez convenue, entre fausses pistes improbables et indices semés intelligemment, amenant le lecteur même à la résolution de l'enquête, malgré quelques éléments qui ne seront révélés qu'à la fin.
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