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Critique de Nemorino


C'est une oeuvre excellente que je recommande à tous ceux qui recherchent des livres bilingues français-russe. Il a été d'abord édité aux éditions Mémo en 2010 dans la collection des Trois Ourses qui est réputée pour arpenter l'histoire de l'art et de l'illustration du 20ème siècle et mettre en lumière ce que les grands artistes ont créé pour les enfants. Mais moi j'ai connu ce livre seulement il y a deux ans en feuilletant les publications proposées à la librairie du Globe, librairie russe à Paris(Bastille) dans une nouvelle édition. Les couvertures se ressemblent comme deux gouttes d'eau lorsque ce livre est réédité en Russie en 2014 par Karriera Press !
C'est surtout un livre novateur, pédagogique, qui initie les enfants à la fois au théâtre, à la sculpture en papier, à la photographie. Les poèmes, bien rythmés et rimés, représentent des différents animaux. Mais les héros sont finalement les enfants qui les miment ! D'ailleurs le titre russe SAMOZVIÉRI c'est un mot inventé par le poète russe Serguéï Trétiakov (1912-1939) qui n'est pas traduisible en français si ce n'est par AUTO-BÊTES ! Ou alors Les animaux autoproclamés !
C'est un très bel album non pas de bandes dessinées mais de photographies en noir et blanc avec sur la couverture un cheval à construire en papier fort. L'oeuvre a reçu une récompense : Meilleur livre Jeunesse au festival international du Livre d'Art et du film de Perpignan (2011). Je tire mon chapeau à la traductrice poète Valérie Rouzeau qui a travaillé sur les textes de Trétiakov avec la participation d'Odile Belkeddar.
L'histoire de la création de cette oeuvre mérite d'être racontée. Dans la postface on apprend que l'idée existait depuis 1920. Il n'y avait jamais de livre mais il y avait déjà une légende du livre ! Il s'agit de l'oeuvre expérimentale du photographe Alexandre Rodchenko (1891-1956) et du designer Varvara Stépanova (1894-1958), son épouse. Les poèmes de Trétiakov avaient été édités déjà en 1926 avec un autre illustrateur. le projet de collaboration avec Rodchenko est venu plus tard.
Les plans de Rodchenko, colle, ciseaux, papier, voilà tout pour faire des personnages à partir des formes géométriques très simples ! Un véritable zoo en papier pour un petit garçon et une petite fille. Ensuite le photographe s'est mis à photographier les figurines sous les angles et les lumières différents. Les ombres jouaient aussi un rôle important dans cette magie. Il savait donner l'impression que le chat saute uniquement grâce aux ombres ! Deux adultes s'amusaient longuement avec les personnages, et ainsi, poème après poèmes, une mise en scène se créait. Le couple d'artistes a appelé cela « les photographies d'animation » ! Tout était fait pour intéresser l'enfant et stimuler sa fantaisie créative. Il paraît que les éditeurs français ont inclus certains plans de Rodchenko pour que les enfants d'aujourd'hui fassent aussi leurs réalisations mais dans le livre que j'ai entre les mains (édition russe) il n'y a pas de plans. Et cette épatante postface est uniquement en russe. On dit que le livre de Rodchenko n'a jamais été édité en Union Soviétique seulement à cause des frais d'impression. Imprimer les photos coûtait très cher.
Après la postface, il y a encore un texte-témoignage écrit par le petit-fils du couple d'artistes Alexandre Lavrentiev. « Leur appartement était un atelier et l'atelier était un appartement ! » À travers le regard admiratif d'un enfant, on découvre Rodchenko, cet homme à la pipe, grand, jeune mais complètement chauve, dans sa veste aux mille poches pour ses compas et crayons (noir, rouge et bleu), et toujours un centimètre. Il courait donner ses cours d'invention d'objets pour que tout le monde apprenne à inventer ! Tandis que Varvara Stépanova restait à la maison pour découper les formes et deviner comment les rassembler en poupées ! Curieusement, la feuille blanche avant le découpage est comparée aux « bonhommes de neige cachés sous la neige » ! À son retour à la maison Rodchenko photographiait les poupées utilisant des appareils photo de son époque où il voyait dans l'objectif tout à l'envers !
Si pour moi c'est si passionnant de lire cela aujourd'hui, ô combien plus passionnant ça devait être pour ce couple d'artistes ! La créativité qui émane de ces pages est incroyable !
J'ai fait quand même une étrange constatation que je suis attirée par ce livre plus que mon enfant qui fait déjà sa crise d'adolescence à six ans et sait mieux que moi ce qu'il a envie de lire et regarder et à quel moment !
Ce qui me frappe le plus c'est que les petites sculptures pensées par ces stylistes étaient très en avance sur leur temps. Car la production artistique actuelle continue la démarche de Rodchenko. Il suffit de regarder dans les galeries d'art des rues qui partent de l'école des Beaux Arts de Paris. Et même les jouets en carton à construire soi-même qu'on voit dans les magasins aujourd'hui reprennent les idées de Rodchenko sans le copier ! Je ne sais pas si c'est conscient ou inconscient. Mais c'est dans l'air !
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