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Critique de Lucilou


Avant cette lecture, je ne connaissais absolument pas Trevanian, auteur américain prolifique, cultivant le mystère et l'éclectisme, passant de romans d'espionnage aux contes pour enfants avec escale en dramaturgie et au Pays Basque pour, notamment, cet envoutant "Eté de Katya", crépusculaire et presque gothique que j'ai beaucoup aimé.
Encore une fois, sur le chemin des découvertes, les éditions Gallmeister et leurs très belles couvertures font mouche!

Aout 1938. Alors que s'annonce la 2nde Guerre Mondiale, le docteur Montjean s'apprête à revenir sur l'aube d'une autre tragédie, sur le dernier été avant la poudre et les tranchées.
En 1914, il n'était encore qu'un jeune médecin, nanti de son temps passé en faculté et d'une année chaotique dans un service de psychiatrie. de retour au Pays Basque, sa terre d'origine, il se retrouve à exercer à Salies, un petit village comme il en existe tant d'autres, auprès du docteur Gros, bonhomme, viveur et un rien vulgaire. Assez en tout cas pour échauder le jeune Jean-Marc bien trop idéaliste et adepte des rêveries romantiques qui croit voir ses rêves se réaliser le jour où une délicieuse jeune femme vêtue de blanc vient jusqu'à lui pour lui demander de venir soigner son frère. Montjean, parce qu'il a prêté le serment d'Hippocrate et parce qu'il trouve la soeur aussi belle que pétillante se rend séance tenante auprès de ce patient providentiel. Il devient rapidement un habitué de la demeure et les Tréville le traitent avec beaucoup d'hospitalité. Il y a Paul, terriblement cynique et dur parfois; le professeur, étourdi, fantasque et qui n'est pas sans rappeler un certain Tryphon Tournesol en plus sombre et enfin il y a Katya, si pleine de vie, si jolie et tellement romanesque, elle qui cultive sa bibliothèque dans les ruines du jardin et qui dit discourir avec un esprit...Il ne faut guère longtemps à Jean-Marc pour en tomber irrémédiablement, follement amoureux.
Une ombre pourtant plane sur cet été radieux et sur les Tréville. Tout romantique et candide qu'il soit, le médecin ne peut pas ignorer que les membres de la famille semblent liés par un lourd secret, tout comme il ne peut ignorer l'ambiguïté des liens qui les unissent ou le malaise et les tensions -palpables- qu'il sent parfois flotter autour des Tréville... Mais la maison Etcheverria exerce bien trop de fascination sur lui, toile d'araignée dans laquelle il se jette presque. Et puis, il y a Katya, les yeux de Katya et son sourire quand elle cueille des fleurs sur les bords des chemins.

"L'été de Katya" semble revêtir les atours du roman sentimental dès ses premières pages avec son héros fleur bleu et sa jeune première toute de blanc vêtue et c'est vrai que nous n'en sommes pas loin. On pourrait même être en passe de s'agacer face à la naïveté de Jean-Marc qui tombe amoureux en moins de temps qu'il ne m'en faut pour engloutir une crêpe au nutella (soit entre vingt et trente secondes), mais en réalité, pas d'agacement ni de mièvrerie à l'horizon tout simplement parce que cette histoire d'amour est aussi belle que trouble, qu'elle est d'un romantisme aussi sombre que flamboyant et qu'elle est au service d'une atmosphère qui pourrait constituer à elle-seule la réussite du roman. Un vrai thriller psychologique.
L'intrigue, en effet, progresse lentement, un peu comme si la chaleur torride de cet été 1914 l'entravait, la ralentissait, mais Trevanian profite de cette langueur pour distiller une atmosphère lourde, empreinte de secrets et de non-dits, qui contraste avec la lumière de juillet et la clarté des émois de notre narrateur. L'ambivalence ainsi mise en place est un délice et je m'en suis sentie prisonnière à mon tour, attirée, tout comme Jean-Marc, par les ombres et les pesanteurs qui paraissent hanter les Tréville, prête à les traquer, les comprendre, les dévoiler. Véritable roman d'atmosphère construit en virtuose, "L'été de Katya" flirte avec le roman gothique, de son incipit à sa chute absolument superbe et maîtrisé et c'est une réussite qui n'a pas été sans me rappeler certaines oeuvres de Daphné du Maurier. Sa clairvoyance et sa finesse à peindre la psychologie des personnages n'a pas été non plus sans me rappeler Zweig.
La dimension crépusculaire du récit a par ailleurs un autre aspect. Non contente de servir le drame du docteur Montjean et de nous signifier le basculement de la romance dans quelque chose de beaucoup plus trouble et inquiétant, elle confère aux personnages une dimension poignante. C'était l'été 1914 et tout allait bien, tout était léger… et puis la guerre. C'est aussi le roman du dernier été, de la fin de l'insouciance, du calme avant la tempête. Quand on y pense, c'est terrifiant. Beau mais terrifiant.
Enfin, je ne voudrais pas finir avant de saluer la modernité, l'actualité même du propos du roman quant à la condition féminine et au rapport homme/femme. Un tel engagement, un parti pris presque, en 1983, on se doit de le souligner et de le saluer donc!





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