- Tu escaladerais les 12 étages de l'immeuble Bolton pour 500 dollars ?
- Pour 500 dollars, j'irais jusqu'au ciel et me suspendrais aux portes du paradis
Monte là-dessus ! (Safety Last !) 1923
Sous un titre énigmatique, « le sens des aiguilles d'une montre »,
Clothilde Tronquet nous livre son premier roman dont l'action se situe au Brésil. L'irrésistible ascension d'un employé ordinaire au sein d'une firme à la recherche d'investisseurs pour ses projets de méga-parcs éoliens dans le Nord-Est.
Thiago veut croire que la Compagnie qui l'emploie à des tâches subalternes va lui permettre de réaliser une sorte de rêve américain à la brésilienne. L'imaginaire américain a fait des petits et s'est mondialisé avec le capitalisme.
Dans les dunes du Nord-Est, pas de gratte-ciel ou d'hôtel Bolton mais des mats ceints de haubans qui s'élèvent dans le ciel pour prendre la mesure du vent.
A l'instar de Harold (Harold Lloyd) dans « Safety Last ! », Thiago cherchera à atteindre les portes du paradis en escaladant - à son corps défendant - les échelons de la pyramide.
Comme Harold, il devra prendre la place d'un autre pour s'élever vers le sommet, découvrir ce qu'est un anémomètre, rencontrer de drôles d' oiseaux (ici des pigeons envahissants, là des bécasseaux maubèches affirmant leur droit de passage).
Avec la mauvaise conscience et la peur au ventre, le sale air de la peur.
Pour atteindre le haut de la pyramide, Thiago prendra l'ascenseur pour les fauchés qui passe par tous les étages, les mensonges, les compromissions, la falsification de documents, la soumission aux diktats du manager en chef.
A ce titre, le roman de Clothilde Tronquet est l'inverse d'un roman d'apprentissage ou du moins ce que son personnage finit par apprendre c'est « qu'il ne s'agissait pas d'une pyramide que l'on escaladerait (…) mais plutôt d'une roue sur laquelle il tournait sur lui-même, les membres écartelés. (…) Les révolutions de son corps autour de la montre se suivaient et se ressemblaient » (page 142).
Le degré zéro de la conquête de soi.
Avec un grand sens de la dérision et du burlesque,
Clothilde Tronquet nous décrit l' « économie sociale et solidaire » réellement existante au Brésil. Et la façon dont cette économie à la recherche d'investisseurs investit les corps et les esprits des employés au service de la Compagnie, en les brisant. Et comment elle s'accapare les terres pour parvenir à ses fins.
Le style de
Clothilde Tronquet est jubilatoire (malgré le sujet sombre du roman), l'humour est à fleur de mots, les trouvailles littéraires nombreuses, le vocabulaire riche mais sans cuistrerie.
Certaines formulations condensées comme « L'absence de climatisation ruisselait sur le front de Thiago » (page 49) nous enchantent parce qu'elles empruntent au langage du rêve. Et le roman de
Clothilde Tronquet est ponctué de nombreuses séquences oniriques ou hallucinatoires, ses personnages évoluent d'ailleurs à la frontière du rêve et de la réalité (comme le cousin Daniel se transformant en une sorte de loup-garou à la nuit tombée).
Faut-il comprendre le ruissellement de la climatisation en panne sur le front de Thiago comme une métaphore de l'effondrement technologique à venir de nos sociétés?
Homo Sapiens s'est doté au cours de son évolution de la transpiration pour réguler sa température. Il est le seul mammifère à transpirer.
L'homme moderne a externalisé ses fonctions corporelles grâce à ses prouesses techniques. Comme avec la climatisation qui participe au réchauffement climatique.
L'effondrement annoncé de notre environnement technologique ouvrirait-il la possibilité de rendre aux corps leurs fonctions oubliées et à l'homme son humanité ?
Dans le roman de
Clothilde Tronquet, la Compagnie rame pour trouver des investisseurs.
Dans le monde réel, le Brésil serait devenu le nouvel eldorado des groupes énergétiques dont certains français comme Voltalia, le producteur français d'électricité renouvelable, et EDF Renouvelables qui ont signé en 2018 de gros contrats pour la construction et l'exploitation de parcs éoliens.
Mais si l'avenir énergétique de la planète se situe au Brésil, comment le concilier avec cet autre élément : sa consommation d'hydrocarbures est aujourd'hui en très forte hausse, ainsi que ses émissions de CO2.
« le sens des aiguilles d'une montre » est une excellente introduction à l'histoire contemporaine de ce grand pays, avec les moyens propres à la littérature.