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Critique de Pois0n


En premier lieu, je tiens à remercier les éditions Sonatine ainsi que l'opération Masse Critique pour m'avoir donné la chance de découvrir ce livre. ♥

Allez tous vous faire foutre fait partie de ces bouquins avec lesquels ça passe ou ça casse. Pas à cause de son contenu (le résumé annonce assez clairement la couleur), mais de sa narration : c'est moins le bordel en ville que dans les lignes qu'on a sous les yeux ! Le texte est à la première personne, au présent, et on suit (presque) toutes les pensées de Jack Price. Sauf que la façon de penser de Jack est pour le moins chaotique. Dès le début, on se retrouve à lire des phrases interminables, souvent grammaticalement incorrectes, le genre de phrases qui vous donnent le besoin de reprendre votre souffle à la fin rien qu'en les lisant parce qu'il est comme ça Jack la ponctuation il est pas très copain avec mais de toutes façons il est vraiment copain avec personne Jack et il emmerde les règles Jack y compris celles de la langue française. Voilà. Ceci était un exemple, à vous de voir si vous aurez le courage d'affronter 277 pages dans le même genre, en semi-apnée permanente. Bien évidemment, n'importe quel autre livre écrit comme ça aurait immédiatement été qualifié de « mal écrit », mais ici, l'effet de style est volontaire et, à défaut de rendre le truc facile à lire, diablement efficace (bien que non dénué de lacunes, on y reviendra plus tard).

Bref, passé ce premier contact quelque peu rugueux avec l'ami Jack, on commence à passer outre le style d'écriture pour se plonger dans l'histoire ; celle de cet homme moins criminel que chef d'entreprise (de toutes façons, y a-t-il vraiment une différence entre les deux), baignant dans l'esprit start-up nation jusqu'au bout des ongles. Dématérialisation, externalisation, Jack gère son business proprement et quasi tout seul. Jack est un homme consciencieux, aussi est-il logique qu'il mène sa petite enquête lorsque sa voisine du dessous est retrouvée assassinée. Qu'il y ait ou non un rapport avec lui, dans tous les cas, ça fait désordre, vous comprenez. Le problème, c'est que ses questions dérangent quelqu'un et que le quelqu'un en question tient au moins autant que Jack à sa tranquillité. Des méthodes loin de plaire à l'intéressé, plus habitué aux discussions raisonnables avec billet sur la table qu'aux intimidations musclées.

Dès lors, l'intrigue bascule. Jack se venge au moins autant qu'il essaie de survivre. Il faut avoir en tête l'image de ce type en costard maigrichon bien propre sur lui, pourchassé par de vrais truands auxquels il n'est absolument pas capable de faire face, mais néanmoins décidé à leur montrer qu'on ne le défie pas impunément. A défaut d'être dangereux, Jack est intelligent et surtout très créatif. De la part d'un dealer de l'ère Uber, on ne pouvait pas en attendre autrement. Cette histoire de règlement de comptes, où le grand n'importe quoi n'est jamais très loin, où l'on se demande sans cesse si Jack, brutalement jeté hors de sa zone de confort, parviendra à s'en sortir, s'avère prenante d'un bout à l'autre. L'absence de chapitrage accentue ce côté page-turner puisque rien ne nous indique qu'on peut reposer le livre, là, maintenant. Alors, on continue à lire. D'autant que Jack ne nous déçoit jamais en matière d'inventivité, qu'il s'agisse de préparer minutieusement un piège comme une araignée tissant sa toile, ou d'improviser en une poignée de secondes. Allez tous vous faire foutre m'a, dans sa structure, beaucoup rappelé « Servir Froid » de Joe Abercrombie... mais, hélas, en beaucoup moins abouti.

… En beaucoup trop sage, surtout. Le résumé promettait le summum de l'immoralité et dans un sens, on l'a, sauf que tout ça est présenté de façon bien trop superficielle. Si les pensées de Jack s'étalent en long, en large et en travers, il n'en va pas autant des descriptions. Bilan : on peine à ressentir l'extravagance des idées de Jack tant tout ça manque cruellement de détails. Comme si on lisait un résumé gentiment censuré, que l'auteur n'avait pas osé aller au bout de son concept pourtant génial. Alors que bon, ce ne sont pas quelques détails gores qui auraient choqué le lectorat visé, au contraire, on attend de ce genre de bouquin qu'il nous mette mal à l'aise, comme ont pu le faire les descriptions dans « Les abysses du temps » de Maxime Chattam par exemple, parce que hey, c'était le contrat, c'était écrit sur la couverture... Mais non. Les scènes de sexe sont moins détaillées que dans un bon vieux Harlequin. Même la fin sonne trop bisounours pour un livre qui se prétendait aussi noir que l'encre de Chine mais qui, au mieux, atteint le gris souris.
Si Jack ne fait pas dans la dentelle, le texte, lui, reste toujours très propre. Enfin, propre dans son propos, parce que niveau narration, la confusion qui parasite les pensées de Jack et à laquelle on a fini par s'habituer plombe malheureusement complètement ce qui aurait dû être les meilleurs moments !

Reste que malgré ses défauts, Allez tous vous faire foutre demeure un thriller bien troussé et ultra original, possédant des qualités au moins aussi nombreuses ainsi qu'une ambiance unique reposant entièrement son personnage principal. Et quel personnage.

Dès lors, quelle note mettre à ce truc ? Son capital sympathie me pousserait à mettre un 7, mais difficile d'occulter la narration chaotique et terriblement imprécise, ainsi qu'un contenu finalement assez lisse derrière son enrobage subversif.

Allez tous vous faire foutre n'est clairement pas un mauvais livre, il est même très bon, seulement terriblement « spécial » ; le genre de bouquin qu'on adore ou qu'on déteste, mais qui ne laisse pas indifférent.
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