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Critique de lilicrapota


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Le narrateur, Stellan, présente son livre comme un ouvrage devant retracer la vie des gens célèbres venus à Sunne, une petite ville de Suède.


En vérité c'est sa propre histoire qu'il retrace, et les gens célèbres dont il parle ne sont « célèbres » que localement. Cette galerie de personnages forme un entrelacs indissociable de sa propre vie, une trame complexe, d'autant plus que toutes ces vies sont mêlées si étroitement qu'elles se confondent dans le récit, passant de l'une à l'autre au gré des évènements (voilà pourquoi il m'a fallu deux lectures pour en venir à bout).


Les personnages sont : Stellan, le narrateur

Harald Philgren, le peintre raté

Isabelle, la femme du peintre

Cederblom, le pasteur

Ed Oldin, l'astronaute


Rien que dans le choix des personnages, nous avons déjà 4 portes d'accès à l' « éternité » si j'ose dire : par l'art, par Dieu, par la célébrité aussi bien que par le fait d'avoir tutoyé l'infini (Ed a été le 1er homme à avoir posé le pied sur la lune), et enfin avec Isabelle, par la pureté de son amour.


Stellan écrit ce livre alors qu'atteint par le cancer, il ne lui reste plus que quelques mois à vivre. Ecrire ce livre est une façon pour lui de purger ses fautes et de chercher le pardon auprès d'Isabelle. En écrivant ce livre, il devient Quelqu'un, alors que toute sa vie il n'a été personne, s'adaptant au bon vouloir et au regard des autres, cherchant la connaissance dans les mots de Cederblom, l'amour dans le coeur d'Isabelle, et luttant sans cesse avec une violence sous jacente venue de son enfance. Cette dernière tâche le réalise donc, même si c'est dans la souffrance ; cela lui permet d'inclure des extraits du journal intime de Cederblom, de retranscrire le sermon d'Ed à la paroisse ou les histoires racontées par les autres personnages : une foule de narrations différentes qui permettent au lecteur à la fois de partager le point de vue des autres personnages mais de lire d'autres styles d'écrits (le journal intime de Cederblom étant écrit de façon très différente -poétique- que le passage où Isabelle retrouve Ed – on se croirait dans Clair de Femme !!!- etc.


Les histoires :

● Harald Philgren : passe son enfance avec une mère qui n'a pas voulu de lui, et sa grand-mère. Sa mère reste cloîtrée sans sortir de chez elle, s'ensuit une peur « des Autres », du monde extérieur. Sa grand-mère meurt, sa mère achève de sombrer dans la folie, c'est Harald qui doit s'occuper d'elle et la rupture se fait progressivement. A l'armée, il fait la connaissance de « la Pieuvre » qui lui donne ses premiers cours d'art : « Il s'agit d'apprendre à voir. On croit voir en regardant, mais ça ne suffit pas, on doit apprendre à regarder de l'autre côté d'un angle, à travers… » « Les motifs ! Mais ce n'est pas de ça dont il s'agit. On peut choisir n'importe quoi, même une carotte. Les motifs n'ont aucune importance, je dirais même qu'ils forment obstacle. »

A la suite de ça Harald va en école d'art : là il prend conscience qu'un seul tableau le poursuit, une seule oeuvre. Un jour, dans son enfance, il est parti Dehors (là où il n'avait pas le droit d'aller, là où sont « les Autres ») il a cueilli des tulipes : c'était pour sa mère, c'était la chance qu'elle le reconnaisse, qu'elle ait pour lui un Regard, mais elle a fait tout l'inverse et l'a vite ramené à l'intérieur. Conclusion Harald était rejeté de toute part : des autres parce qu'il ne pouvait pas y aller, de sa mère qui ne voulait pas de lui… Cause du mal-être profond et inéluctable du peintre en devenir : mal à l'intérieur comme à l'extérieur, rejetant les autres qui avaient rejeté sa mère (à cause de cette grossesse pas « dans la norme »), se rejetant lui parce que n'ayant pas d'existence fondée… Donc le seul tableau qui l'obsède ce sont ces tulipes rouges, traumatisme de son enfance et clé de sa personnalité.

Quand il rentre de l'école d'art, il trouve sa mère mal en point, soignée par Isabelle, une infirmière. Il lui présente son oeuvre, cherchant la reconnaissance, cherchant peut être à reconquérir le passé en lui représentant ces tulipes, pour se dessiner un nouvel avenir, pouvoir enfin s'écrire une vie !!! mais sa mère traite sa toile de croûte et s'en moque, il décide alors de la tuer, s'empare d'un couteau, mais lorsqu'il se décide sa mère est déjà morte, naturellement. (même ça elle ne lui en laissera pas la liberté de choix). Il s'enfuit en ne sachant plus s'il l'a vraiment tuée ou non et erre pendant des mois. Il est recueilli par un homme, perd l'usage de la parole, se remet à peindre, le vieux devient comme son père : quand il meurt Harald retrouve les mots, ou plutôt le cri. Il repart chez lui, retrouve Isabelle, ils se marient. Cet amour le rend quelques temps heureux, mais il découvre quelques mois plus tard qu'en fait Isabelle avait promis à sa mère de s'occuper de lui : « être celui dont on s'occupe » anéantit à la fois son amour et sa joie de vivre, il se sent trahi et manipulé, dépourvu de toute liberté. Il restera pour toujours celui qui est « en bas », enfermé dans un cercle et condamné à ne jamais en sortir, celui du regard des autres et surtout le sien sur lui-même, le regard de sa mère morte qui a toujours semblé juger sa vie comme celle d'un raté et qui même après la mort en décide et en dessine les contours et les reliefs. D'autre part, il s'aperçoit des années après que c'est sa femme qui retouche ses tableaux et parvient à les vendre, sans elle ce ne seraient que des oeuvres minables, il finit par l'accepter et même par aimer ce travail d'équipe. Isabelle st celle qui fait prendre à son art une dimension réelle (qui transforme des toiles en art). Isabelle, elle, est celle qui grimpe, qui monte, qui est attirée par la lumière et les cieux (symboliquement parlant) : pour preuve le passage où elle grimpe à l'échelle pour réparer les tuiles, pendant qu'Harald, en proie au vertige, reste en bas : symboliquement il est celui qui tombe, qui regarde toujours vers le bas, sans lutter pour ne pas chuter. C'est la parfaite métaphore du couple où l'une tire toujours l'autre vers le haut, l'une voudrait s'élever toujours plus haut mais l'autre la force à rester à terre. On ne saura pas pourquoi Isabelle a épousé Harald, mais l'été de ses 15 ans elle est tombée amoureuse d'Ed et n'a jamais oublié cet amour (et vice-versa). Il y a un parallèle métaphorique à faire entre le fait d'aimer un aviateur –et plus tard, astronaute- puis d'épouser un artiste (suite à la promesse faite à une morte) ? C'est finalement dans le ciel qu'ils se perdront, après le sermon d'Ed, ils s'écraseront en plein vol et Harald se suicidera la même journée.


● Ed Oldin : enfance difficile là aussi, père aviateur qui trompe allègrement sa femme et finit par la quitter, donc mère très malheureuse, qui fait promettre à son fils de l'enterrer à un endroit où elle peut être heureuse. Il mettra donc la moitié de ses cendres sur la lune, là où il n'y a ni saison ni temps qui passe, rien… et l'autre moitié à Sunne (c'est pour cette raison-là qu'il y revient) parce qu'il y a été heureux le temps d'un été, quand il était amoureux d'Isabelle, surnommée Blondie. Il débarque bourré le jour de la fête pour les 50 ans d'Harald, dans un état lamentable si bien que personne ne le reconnaît. Stellan trouve son portefeuille, et comme il collectionne les autographes des gens célèbres il se met à le rechercher, retrouve l'homme ivre mort, le ramène et l'enferme dans une grange pour l'interviewer (il veut le garder juste pour lui). En fait, ils se sont connus enfants, c'est même grâce à Stellan et à son ami Torin qu'Ed a commencé à voler et à y prendre goût. Américain d'origine, il reproduit adulte le schéma parental (trompe sa femme), il a l'impression d'avoir raté sa vie, d'être transparent, et depuis qu'il est rentré de la lune toutes chose a perdu son relief, il n'arrive pas à reprendre pied dans son monde. Pendant qu'il est dans la grange, il raconte sa vie à Stellan entre deux cuites, et face à la demande de Cederblom qu'il fasse le sermon du dimanche, il demande une fille en échange. le hasard veut qu'il prenne Anita (l'ex-femme de Stellan) pour la prostituée en question, il couche avec, puis tombe dans les escaliers et se retouve à l'hôpital, soigné par…Isabelle. Ils se reconnaissent, lui avoue le naufrage de sa vie, elle ses reproches car il l'a abandonnée (son père est venu l'enlever à Isa le jour où ils devaient faire l'amour). On devine que quelque chose brûle encore même si Isabelle orgueilleuse ne veut rien en laisser paraître. le jour du sermon, à la fin du livre, ils partiront ensemble…


● Cederblom : pasteur, marié à Ingrid, papa de sarah. Passionné par les livres, il est avide de connaissances et a un certain pouvoir avec les mots (qui prennent toujours avec lui un autre sens qu'avec le commun des gens, selon Stellan). Il tient un journal intime qui tombera entre les mains de Stellan (c'est comme cela que nous lecteur, aurons des lambeaux de son histoire). Avec sa femme c'est l'indifférence depuis des années (s'ils se sont aimés un jour). Il apprend que sa femme est tombée amoureuse (maladivement) d'un archévèque et qu'elle a tout un jardin secret et une vie qu'il ne connaît pas. Pour sa part, le jour de la fête pour ses 60 ans, il rencontre Lena Vergelius, psychologue, s'ensuit une liaison éperdue jusqu'à ce qu'elle le quitte, il en gardera la cicatrice à jamais.


● Stellan : épicier. Il se marie avec Anita mais sans vraiment l'aimer. La vérité c'estq u'ils finissent pas ne plus pouvoir se supporter et Stellan la frappe. A la suite de ça il est condamné à suivre une psychothérapie avec Lena. Quand on lit le livre on a tendance à se dire « pauvre Stellan ! » il passe un peu pour la victime, l'homme bon et gentil mais simplet et naîf dont les autres profitent. En refermant et en réfléchissant, on s'aperçoit que sa vie est traversée de crises de violence, avec là encore, un traumatisme de l'enfance en regard : son père, alcoolique, s'est fait poignarder le jour des 4 ans de Stellan, alors qu'il était avec lui. Depuis Stellan ne supporte pas l'alcool. Il ne supporte pas non plus l'émotion que lui procure le sexe (vue de magazines pornos par exemple) et a beaucoup de mal à accepter sa sexualité de façon générale (inexistante avec Anita, et rien ensuite) et ses fantasmes (notamment avec Isabelle). Il aura au fil du roman plusieurs crises de violence (qu'il tentera plus ou moins de cacher) : contre Anita, contre Ed quand il s'aperçoit qu'il couche avec Anita (Ed lui a pris quelque chose que lui-même n'a jamais réussi à avoir, à savoir donner du plaisir à Anita), contre Isabelle quand il apprend pour leur amour à Ed et à elle, (Ed lui aura donc pris les deux seules choses qui comptaient pour Stellan), ce qui finira par un drame puisqu'il sabote l'avion que prendront Ed et Isabelle après le sermon, ce qui conduira à la mort d'Ed, à la presque mort d'Isabelle (elle finira légume), et par extension au suicide de Harald quand il apprend pour l'accident d'avion. Stellan est tombé amoureux d'Isabelle au premier regard, quand elle est venue s'installer à côté de chez lui avec Harald. Il a toujours espéré, considérant au fond de lui-même Harald comme un pas grand-chose, mais n'a jamais osé lui avouer jusqu'à ce jour où elle lui raconte pour Ed et elle : alors il lui hurle son amour, ses attentes, et finit par lui intimer d'aller vivre avec Ed, pour qu'au moins l'une soit heureuse (est-ce à cause de ça qu'elle est partie avec Ed le dernier jour ?)


Le livre finit donc ainsi : Ed fait son sermon à la paroisse, un sermon sur Dieu et l'espace, un sermon de « non-croyant » ; il doit enterrer la deuxième moitié des cendres de sa mère à la suite de ce sermon, sachant qu'il est pourchassé par des américains qui veulent le ramener. C'est aussi le jour du premier vernissage d'Harald, pour la première fois, Stellan voit Isabelle et Harald différemment, heureux (mais pourquoi ? Parce qu'Harald sait qu'Isabelle va partir et qu'il est heureux pour elle en même temps que sa carrière décolle ? ou au contraire ne se doute-t-il de rien ? Parce qu'Isabelle va partir avec Ed et que c'est sa façon de faire ses adieux à son mari ? Ou bien ne sait-elle pas encore qu'elle va partir avec Ed ?), puis Harald s'en va à son vernissage, Isabelle va communier avec Ed et ils disparaissent (ensuite on entend l'avion s'écraser).


Stellan est donc au chevet d'Isabelle, des semaines, des mois, des années ? plus tard, attendant la mort et implorant son pardon en lui lisant son récit.
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