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Critique de Tempsdelecture


Roman d'une longueur modérée mais foisonnant de détails, d'un peu plus de trois cents pages, La douleur du dollar est un récit étonnant qui vous surprendra probablement. Son auteur, Zoé Valdés, est décrite comme dissidente cubaine, son ouvrage le néant quotidien ayant déplu au pouvoir en place lors de sa publication en 1995. La douleur du dollar a été rédigé après le départ de l'auteure pour la France et malgré cette double nationalité franco-espagnole de la romancière, ce récit reste indubitablement une oeuvre baignée par l'esprit, la langue et la culture cubaine.
En effet, le titre hispanophone est tiré d'une chanson cubaine présente à travers le roman, qui n'a de cesse de rythmer la vie de ce drôle de bout de fille puis de femme incarné par notre Cuca Martinez ou plus souvent surnommée la Môme, le nom d'une jeune fille qui n'a jamais grandi – ou s'est plutôt arrêtée de grandir – à un point donné de sa vie. Ce moment où l'homme qu'elle considère être l'amour de sa vie va soudainement la quitter sans ne plus donner de nouvelles.

Comment ne pas évoquer le style de Zoé Valdés, qui détonne et vous oblige à regarder sans détourner les yeux la violence de cette réalité cubaine crue, dure et violente? J'ai mis quelques pages à m'y faire, j'ai rarement croisé au fil de mes pérégrinations littéraires un style aussi franc, sans fard presque brutal et qui, quelquefois, ne fait pas que frôler l'obscénité, disons-le. L'auteur ne prend aucunes pincettes et n'épargne absolument aucune vérité à son lecteur, aussi brutale soit-elle. de fait, les personnages sont dépeints à l'image de ce style, sans aucune concession. La verdeur de ce style permet au lecteur de garder ses distances vis-à-vis de ces vies complètement perdues au sein d'un monde complètement replié sur lui-même, destiné à ne jamais connaître autre chose que cette pauvreté aride, ce soleil incandescent dévorant tout sur son passage, les individus comme la végétation, les sentiments comme l'envie de vivre. Où ne reste que le désir inaliénable de survivre, lors des soirées et nuitées balayées par le rythme infernal de la samba et des corps qui s'agitent. Car ce qui donne son caractère au roman, c'est le rythme, la musique qui scande le récit, de par les chansons, cubaines avec le chanteur Bola de Nieve, françaises – par la présence d'Édith Piaf au coeur de ce maelström de musiques – anglaises, entre mambo, cha cha cha, guaracha, rumba, boléro.

Dans cette prison sans murs qu'est Cuba, ses habitants ont un avant-goût de cet autre monde, les États-Unis, l'ennemi qui provoque à la fois hostilité et fascination, qui incarne en quelque sorte cette image de la liberté absolue. Monde à la fois vivant et foisonnant d'activité et en même temps complètement renfermé sur lui-même, sans aucune issue. le titre français démontre de cette dualité dans le roman de cette société cubaine, prise entre deux feux, ceux des démons américains, de son capitalisme, de sa richesse, sa liberté absolue et la passion, la fureur et joie de vivre cubaine. L'auteure pointe également le côté absurde de cette société, à l'image de la décision de la Môme de rester fidèle ad vitam æternam à celui qui l'a quitté enceinte sans un mot. Ridicule à l'image également des retrouvailles des deux amants, vieillis, usés par le temps, poussés par la recherche de ce dollar que Juan Perez avait laissé autrefois à Cuca, telle une relique sainte.

A travers le ton de fausse légèreté, la critique du gouvernement cubain est sans concession: l'absurdité de ce monde replié sur lui-même est à l'image de la vie de Cuca, en perpétuelle attente de l'homme de sa vie qui brille par son absence. D'un gouvernement, pris en étau entre l'embargo américain, la pauvreté d'une île à la limite de vivre en auto-suffisance et qui contraint ses têtes pensantes à chercher des solutions, des plus simples aux plus franchement farfelues, pour développer la croissance économique de leur île. Une population abreuvée d'une propagande abracadabrantesque au nom d'un idéal révolutionnaire, dont personne ne saisit vraiment la portée. Une révolution qui finit par dévorer chaque cubain, qui se dévoue corps et âme à la construction et au bien être de cette farce, que Zoé Valdés dénonce n'être au fond qu'une idéologie commune à l'Europe de l'est et l'Amérique du Sud et qui ne favorise en rien la vie des insulaires. Des vies sacrifiées pour rien, en somme. À l'image de la vie de la Cuca, sacrifiée elle-même par deux fois, l'une à son pays, l'autre à cet homme à qui elle a choisi d'appartenir.



A travers ces pages pointe le reflet d'une identité cubaine à la « sensualité capricieuse » qui se perd, dénaturée entre l'influence de cette Amérique latine ou « agonie andine », de ce socialisme omniprésent et ses ennemis qu'on lui a imposés, dont elle se tient à se démarquer. Cuba cette île des Caraïbes qui joue des symboles occidentaux, du consumérisme occidental, depuis le coca-cola américain à la chaîne française de grands surfaces Carrefour, des chansons d'Édith piaf à la sauce cubaine, de ces noms de la littérature française, anglaise, allemande. Ce pays déchiré entre son impétuosité, sa fougue, naturelles et les symboles mercantiles de sociétés autrement plus riches qu'elle crée des individus eux-mêmes décalés.


Décidément, la condition féminine n'est pas brillante, à Cuba encore moins qu'ailleurs. À travers l'excentricité de ce roman, qui donne vie à des scènes à la limite du burlesque, des personnages désespérés, mélange d'une envie de vivre inébranlable et d'une misère sans fin, et une écriture si particulière, tellement percutante qu'on a parfois du mal à l'apprivoiser, cette révolution cubaine apparaît totalement dérisoire, vidée de sens par une idéologie fomentée par des têtes pensantes soviétiques qui veulent transposer à cette île des Caraïbes leur propre choix politique. Un pays qui s'est retrouvé renfermé sur lui-même par une idéologie qui le dépasse totalement, qui le laisse exsangue et que personne n'arrive à comprendre finalement.
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