Reportage sur la romancière Zoé Valdés dans la chaine France 24.
Seule la littérature peut faire coïncider les solitudes.
Aimer, c'est ce qui m'empêche d'aimer dans la routine. En effet, quand j'aime, je suis trop consciente de ce que j'éprouve car, à chaque fois, je tombe amoureuse avec l'intensité prophétique de l'adolescence.
Au cinéma Actualidades, ma grand-mère avait obtenu de la guichetière que je puisse faire mes devoirs dans la salle, sur les fauteuils d'orchestre, avec d'autres enfants qui traversaient, comme moi, le plus pénible des moments. Nous n'avions ni maison, ni vêtements, et à peine de quoi manger; jour après jour nos parents se battaient pour survivre. La guichetière était si gentille qu'elle nous avait autorisés à rester dans le cinéma la nuit; les fauteuils offraient des lits bien plus confortables que ces couchettes humides, en toile de jute, que nous avions à l'auberge. p.83
"Je ne prétends blesser personne hormis les purs."
Tous les jeudis, un groupe de poètes et d'écrivains, des vieillards pour la plupart se réunissaient autour d'elle ( Dulce Maria Loynaz, poétesse et écrivaine cubaine) et prenait le thé, tout en réfléchissant et en bavardant, au sein de l'Académie.Le régime ne voyait pas ces réunions d'un œil favorable, et elle le savait bien; elle résistait, avec sa brillante intelligence pour seule et unique arme. p.208
Le Havanais aime dialoguer avec l'écran: quand il est au cinéma, il aime parler, commenter le film-si possible à voix haute-en même temps qu'il le voit.Le Havanais adore intervenir sur le scénario d'un film en hurlant des injures contre le méchant, et en essayant d'empêcher le bon de s'engager dans la rue où, forcément, il va se retrouver nez à nez avec le méchant. p.135
J'étais tentée de lui parler un peu plus de moi, de Cuba et de l'exil. Lui dire que je ne pleurais plus, que j'avais épuisé mon stock de larmes, malgré ma rage intérieure et brûlante. Lui dire surtout que je me sentais très seule et très fragile, sans l'appui de personne. Mais je ne l'ai pas fait et me suis tue. Mes larmes, je les ai transformées en écriture. Tout ce que j'ai voulu pleurer se retrouve sur le papier. Tout ce que j'ai voulu pleurer, je l'ai écrit.
(p. 32)
La rue peut se trouver tout au bout de ta vie, la rue peut commencer sur ton visage. Ce vers quoi tu regardes, là est peut-être le chemin.
Partout, la rue peut te poursuivre, et toi, tu peux refuser qu'elle t'atteigne.
Ne tourne pas le dos aux rêves, sinon à la nuit tombée, la ville t'arrachera les yeux.
À minuit, prends un miroir et compte les étoiles, comptes-les jusqu'à trois cents : tu vas voir à quoi tu ressembleras dans quelques années, et c'est alors qu'apparaîtra la rue que tu devras fatalement emprunter. Ah, les vieilles superstitions havanaises !
La rue pourrait bien se trouver tout au bout de ta vie, mais il se pourrait aussi que tu n'arrives pas à compter trois cents étoiles d'un seul coup, ou bien que tu ne parviennes jamais à te trouver dans le miroir.
Lire me pousse à lire. La lecture est le signe que j’ai encore mon innocence, que je peux encore questionner. Questionner qui ? Quand j’arrive au milieu d’un livre, je cesse enfin d’être moi-même. Car, en lisant, je rêve.
Faire l’amour est une façon de se reconstruire, de retrouver ses racines, d’enrichir son corps et son âme. C’est une impulsion, un élan vital par lequel on voit les choses d’une autre façon. L’exil est un sujet de punition. Mais la littérature aussi est une punition, la littérature est douleur. Souffrance, vertige, punition… Tout cet univers littéraire m’intéresse, comme les romans de Juan Carlos Onetti ou de Vargas Llosa. Ces écrivains ont travaillé la douleur, la renonciation, la dénonciation de cette douleur. C’est sur ce chemin-là que je me situe.