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Critique de PatrickCasimir




L'âme et la danse, de Paul Valéry, nous transporte dans un dialogue imaginaire entre Socrate et deux amis, peut-être des disciples, Phèdre et Eryximaque, le médecin.

Pour ceux qui ont lu le Banquet de Platon (moi, c'était il y a très longtemps) on retrouve trois des principaux convives qui devaient, chacun son tour, discourir sur l'amour.

Il s'agit donc d'un dialogue, à la manière de Platon, imaginé par un grand écrivain d'une grande culture grecque, notamment.

Le sujet du débat ? La danse ou l'orchestique ; la beauté perçue, manifestée dans l'évolution gracieuse de jeunes et délicates danseuses sur la musique de l'aulos, de la cithare et, sans doute, du tambourin...

"L'air résonne et bourdonne des présages de l'orchestique..."
"Voyez-moi cette troupe mi-légère, mi-solennelle. - Elles entrent comme des âmes."

Comment se nomment-elles ? Eryximaque les connaît toutes et, une à une, il informe Socrate et Phèdre de leurs noms qui "s'arrangent très bien en un petit poème qui se retient facilement :
- Nips, Niphoé, Néma,
- Niktéris, Néphélé, Nexis,
- Rhodopis, Rhodonia, Ptilé."

"Mais la Reine du Choeur n'est pas encore entrée, Athikté."

Ces trois messieurs s'extasient sur la beauté de ces "charmeresses", devisent sur la volupté qui émane de leur mouvement. Athikté se détache du groupe et fixe intensément leur l'attention. Elle a quelque chose d'Aphrodite assurément.

Mais comme il s'agit de Socrate, au lieu de jouir simplement du spectacle, à l'instar de ses deux amis, il faut qu'il pose la question : "O, mes amis, qu'est-ce véritablement que la danse ?"

Si Eryximaque lui montre l'évidence : "N'est-ce pas ce que nous voyons ? Que veux-tu de plus clair sur la danse, que la danse elle-même ?"

Phèdre qui a compris où le Maître veut en venir déclare : "Notre Socrate n'a de cesse qu'il n'ait saisi l'âme de toute chose ; sinon même, l'âme de l'âme."

On croit connaître la signification d'un mot, et au moment de l'énoncer mentalement on ne trouve pas les termes adéquats. le mot âme, par exemple : S'agit-il ici de l'essence de la danse ensemble de mouvements entrant en harmonie avec le son et le rythme de la musique pour engendrer la beauté réjouissante pour la vue et le coeur ? Ou bien s'agit-il d'autre chose ?

Car Socrate, en bon avocat du diable, émet l'hypothèse suivante, à propos de la merveilleuse évolution d'Athikté, que : " Un oeil froid, la regarderait aisément comme une démente, cette femme bizarrement déracinée, et qui s'arrache incessamment de sa propre forme, tandis que ses membres, devenus fous semblent se disputer la terre et les airs ; et que sa tête se renverse, traînant sur le sol une chevelure déliée ; et l'une de ses jambes est à la place de cette tête ; et que son doigt trace, je ne sais quel signe dans la poussière !... Après tout, pourquoi tout ceci ? - Il suffit que l'âme se fixe et se refuse, pour ne plus concevoir que l'étrangeté et le dégoût de cette agitation ridicule... Que si tu le veux, mon âme, tout ceci est absurde !"

Visiblement l'âme du philosophe serait ici son esprit (autre synonyme du mot âme ? ), esprit conscient d'un parti pris, celui d'imaginer la danse comme quelque chose de ridicule.

Eryximaque, dès lors, déclare non sans justesse que la Raison semble être la faculté de notre âme (encore celle-là) de ne rien comprendre à notre corps (je traduis, à nos émotions, qui provoquent, comme chacun en fait l'expérience, une véritable kinesthésie), pour lui, à l'évidence, la danse est ce qu'elle est entrain de montrer. Rien de plus !

En revanche, Phèdre semble lui donner une signification supplémentaire, symbolique, "une image des emportements et des grâces de l'amour".

Ces deux points de vue laissent insatisfait le philosophe. Mais, il a du mal à contenir les observations et peut-être, les critiques de ses amis qui lui reprochent de chercher midi à 14 heures. Alors, le voilà embarrassé de pensées nombreuses et confuses qui le désorientent et ne lui apportent aucune certitude.

L'échappatoire ? Une nouvelle question au médecin Eryximaque ; "Connais-tu point quelque remède spécifique, pour ce mal d'entre les maux qui se nomme l'ennui de vivre ?" "Cet ennui absolu (qui) n'est en soi que la vie toute nue, quand elle se regarde clairement."

Eryximaque lui apporte une réponse plus que déconcertante : " Rien de plus morbide en soi, rien de plus ennemie de la nature, que de voir les choses comme elles sont." "Le réel à l'état pur arrête instantanément le coeur."

Au fond, une trop grande clairvoyance, une parfaite lucidité mettent l'âme en présence d'elle-même et lui font prendre conscience de sa vacuité, par conséquent de son ennui.

La lucidité a démasqué ce Tout (univers) qui ne se suffit pas à lui-même et dont l'effroi "l'a donc fait se créer et se peindre mille masques". Les mortels en font partie. On n'y peut rien, et pas sûr que cela se soigne !

Et comme avait dit le diable de Jean d'O, dans "Dieu, sa vie son oeuvre ", grâce son inspiration, les mortels apportent de l'animation dans ce Tout, s'agitent, cherchent à comprendre, commettent mille bêtises, éprouvent amour, passion, haine, etc., drapent leur âme d'illusions, de mensonges, vêtent leur corps d'apparence, camouflent ce réel qui n'échappe pas, comme on l'a vu, au regard lucide du philosophe.

Ce dernier reconnaît, en effet, que l'amour, la haine, etc., donnent goût et couleurs à la Vie.

Ainsi, en poursuivant sa réflexion, le philosophe aboutit à la conclusion que toute cette agitation "illusoire" des mortels, constitue le remède à l'ennui de vivre, que l'immobilité lucide qui est source de cet ennui trouve son antidote dans l'ivresse de l'action seule susceptible "de nous faire entrer dans un état étrange et admirable", état le plus éloigné des idées grises et dépressives du contemplatif lucide dont le philosophe s'est fait l'avocat au début.

Rien de tel donc, que nos passions bonnes et mauvaises, et nos souffrances, et nos injustices, pour épicer une existence qui serait fade sans cela (sans la mort finalement).

En tout cas, l'épiphanie de Socrate sur les épices capiteuses de la vie, redonne des couleurs à Athikté dans l'esprit du philosophe qui la compare, maintenant, à cette créature du feu qu'est la salamandre, et l'assimile même à la substance ignée.

Athikté devient la flamme aux ondulations brûlantes, et dont l'âme prise dans ce tourbillon étourdissant qu'entreprennent ses jambes, voudrait s'évader d'elle-même, dans un élan vers les dieux sans doute...

Mais à force de tourbillonner, Athikté se casse la figure : "O tourbillon ! - J'étais en toi, ô mouvement, en dehors de toutes les choses..."

Philosophie et poésie mêlées : L'âme et la danse" de Paul Valéry.

Pat.








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