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Critique de elitiatopia


Ce recueil regroupe de fait tout ce qui est susceptible de me fasciner : référence à la philosophie - et laquelle ! les dialogues socratiques -, réflexion sur l'art et la création, rapports entre l'art et l'artisanat, méditation sur le temps et recherche d'une unicité entre les sens, le corps, et l'âme, à la recherche de la vérité.

Il est vrai que Socrate et sa maïeutique me fascinait lorsque je l'ai étudié en Terminale, j'ai lu par la suite d'autre dialogues, et j'ai toujours apprécié Platon, je dois avouer peut-être plus comme auteur que comme philosophe. Mais Socrate... C'est quand même celui qui ne cède pas, et préfère avaler la ciguë que renoncer à sa vérité. Comme le dit Valéry vers le début du texte Eupalinos, sa mort fut peut-être même trop exemplaire, et figea en quelque sorte sa parole. Donc, ici nous retrouvons Socrate et Phèdre dans le monde des morts. Ce n'est pas facile, mais il faut bien faire quelque chose, et se remettre à décortiquer les apparences et à soulever les questions liées à la proposition de Phèdre sur cet ingénieur qu'il a connu, l'architecte qui créait des temples "qui chantent". Comment exploiter toutes les dimensions, y compris les éléments non tangibles, comme l'air, pour édifier les meilleurs bâtiments, donner au monde le plus beau de l'Art et de l'Âme ? En quoi le fait d'être exigeant sur les détails très concrets, sur la moindre étape de la réalisation, faisait-il d'Eupalinos un architecte qui se surpassait ? Quelle est l'importance du physique, du sensoriel, dans la création ? Quel architecte sommeillait jusque-là en Socrate ?
Tout cela est exprimé avec une rigueur presque mathématique, et en même temps une sensibilité diffuse, presque une mélancolie de la perception du temps, bouleversantes, qui forcent le respect.

Réflexion que l'on retrouve dans le second dialogue, toujours avec Socrate et Phèdre, qui cette fois ne sont plus morts, mais présents à un banquet suivi d'un spectacle de danse, accompagnés par le médecin Eryximaque, médecin à l'approche particulière, puisque pour lui, soigner c'est surtout laisser faire la nature avec le moins de médicaments possible. Lorsque débouche sur la piste la grande danseuse Athiktè, tous les trois sont captés par ses pas et les figures qu'elle dessine autour d'elle. Ils tentent de définir ce qui fait la quintessence de la danse. Valéry déclarait humblement venir à la suite de Mallarmé qui avait déjà épuisé le sujet ; de même qu'il avoue n'avoir fait aucune recherche, mais avoir simplement ouvert un livre qu'il avait depuis trente ans. Pourtant, il transmet une telle puissance d'évocation que j'ai compris ce à quoi je n'avais jamais réfléchi : je regardais les mouvements des danseurs, je n'avais jamais perçu le fait qu'ils dessinaient des figures en volume dans l'espace. Un peu comme si je regardais le geste élégant d'un bras allongé vers le ciel, mais non le ciel qu'il me désignait, et encore l'air autour, palpitant de vie.

Enfin, le troisième dialogue est plus court, mais tout aussi beau, et je m'interroge : comment lire Valéry sans presque tout recopier en citations, tant chaque phrase est pesée, chaque mot est essentiel ? Paul Valéry était visiblement un homme discret, très modeste, alors que sa prose étincelle comme un diamant taillé à la perfection, lui donnant l'éclat, le tranchant, les mille facettes reflétant la lumière, mais lui rendant l'allure brute et naturelle d'un objet qui n'aurait jamais été touché. Ce livre fait partie de ceux face auxquelles on se sent tout petit, et je sais que je devrai le relire pour le comprendre en profondeur, parce qu'il ne délivre pas tous ses secrets au premier abord. Ne nous y trompons pas, le livre n'est pas facile du tout, et j'ai mis du temps à le parcourir, notamment le premier dialogue. Mais il y a tant à gagner à faire cet effort pour qui veut s'y aventurer...
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