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Critique de Shaynning


Incontournable Juin 2022


Mention "Olibrius" Roman Ado 2022*


Comme ce fut le cas pour les romans "Félicratie" ou "Jimmy Diamond est une merde", quand j'ai vu ce roman, et pas que sa couverture, la fibre en moi qui résonne aux cas atypique a vibré. Non, mais regardez moi cet objet! Rose radioactif pour la tranche, un titre paradoxal dont la police et l'arc-en-ciel laisse entendre du vieux rock des années 80 ( en atteste les noms de groupes sur le manteau et le sac de la demoiselle enrosée [ Black Sabbath, Metallica, Nirvana et un autre que je n'arrive pas à lire], une dragonne couleur gomme balloune et une licorne qui semblent copines avec ladite demoiselle, qui a une dégaine qui rappelle à la fois van Helsing, Mad Max, Star Lord et Lara Croft réunis. Et là, on découvre que la quatrième évoque un monde post-apocalyptique peuplé de créatures issues du monde Merveilleux, mais dans un contexte où des Fées franchement pas commodes ont conquit le monde. Woh. Y a "Welcome to the jungle"de Guns N'Roses qui commence à jouer dans ma tête. Bref, impossible d'y résister.


Donc, au-delà de cette couverture assez équivoque, qu'avons nous? Un monde, le nôtre, près de huit ans après la conquête des fées sur celui-ci. Elles ont rasé des villes, fait disparaitre l'électricité, transformé nombre de citoyens en créatures au coloris ostentatoire (et très peu sérieux) et ramené l'humanité au temps du troc, des villages et des méthodes d'armement traditionnelles. À comprendre: si vous voulez poursuivre votre campagne d'autodestruction débile, abrutis d'humains, allez-y, mais faites le sans armes à feu. Dans ce monde où le colorie du drapeau de la parade gay semble bien banal, nous trouvons notre personnage central. Sarah Zenari, 20 ans, tient une bibliothèque ambulante avec ses deux collègues, la licorne Maylis et la dragonne Léa. Sur leur route, elles croisent une station-service, objet aussi inusité qu'une piscine hors-terre dans un désert, complètement neuve et d'une propreté fort louche. Et puis, il faut vous demander si vous risquez d'en croiser souvent en pleine forêt. Sarah décide d'y entrer ( vu les magazines cochons qu'on y trouve, c'est une trouvaille rarissime qui va ajouter de la valeur à son actuel catalogue). Mal lui en prit, car une Fée, Kala, débarqua et l'accusa non seulement d'avoir fait apparaitre cette immonde insulte à l'originalité, mais aussi d'avoir tué l'une de ses congénères. Après avoir défendu sa vie à grand coup de Manuel de mathématique, niveau seconde générale, Sarah parvient à rejoindre le prochain village, mais elle sera kidnappée en pleine nuit par une fée très singulière: Zerka,une administratrice, "scusez-la. Sarah est investie de la mission de trouver l'homme qui a fait apparaitre la station-service, dont les pouvoirs sont très dangereux. Une mission qui réveillera certains de ses vieux talents et qui impliquera une formidable quantité de personnes: plusieurs factions plus ou moins bras-cassées, quelques fanatiques évidemment timbrés, deux-trois couillon.ne.s qui se prennent bien trop au sérieux, une fée revancharde et nos trois bibliothécaires. Welcome to the jungle.


Bien que ce roman fasse parti du sous-genre de Science-Fiction appelé Post-apocalyptique, je lui ai trouvé un sous-sous-genre: le "Merveilleux Assombri". Loin des gentils lapins, des licornes pimbêches et des princesses écervelées, ont a au contraire un univers impitoyable, avec des créatures "magiques" qui ont plus en commun avec des mercenaires, des losers et des citoyens lamdba bien ordinaires. Rien de mignon ou de joyeux ici, on traite de forêts dangereuses, de Fées toute-puissantes qui ont une très mauvaise réputation et une santé mentale questionnable, des humains qu'on a transformés en griffons, en licornes, en lapins, en nagas, en dragons, en dinosaures plumés, etc. L'humanité n'est plus suprématisme, au contraire, elle survie comme elle peut. Tant mieux, au fond, la Nature a reprit ses droits, la pollution a disparu et on ne regrettera pas le fast food numérique qui enfarinait l'esprit des gros consommateurs d'écrans. Pas la peine de vous faire des films, ce roman là ne traite pas du retours à la normale d'une humanité orgueilleusement supplantée. "Merveilleux Assombri", donc. Un cauchemars au nuancier de jelly beans.


Contrairement à ce que pourrait laisser présager la couverture, quoique la dégaine de Sarah est un bon indice, il y a beaucoup de violence et même une partie vers la fin qui est carrément "trash". le contrat qui lie Sarah aux fées est de l'ordre de l'assassinat et même si certaines péripéties restent généralement tranquilles, certaines impliquent des meurtres, des bagarres sanglantes et des sévices psychologiques. Surtout vers la fin.


Le roman est raconté au "je" une bonne partie du livre, quand nous suivons Sarah. Quand nous sommes avec Maylis ou une autre personnage, on tombe au "il". Les chapitres sont relativement courts, près de 40 chapitres pour 400 pages.


À partir d'ici la critique contient des divulgâches - et des quelques commentaires un brin insolant.


Sarah est le genre de personnage que j'aurais adoré étant ado,parce qu'elle est d'un style très rare chez les personnages féminins et que c'est un personnage féminin réellement badass- pas l'une de ces pseudo rebelles qui revêtent du cuir, une couleur de cheveux funky et boivent avant l'âge légal, mais sont incapable de ne pas tomber dans la dépendance affective la plus affligeante. Sarah est un personnage "gris foncé", en ce sens où elle a un code moral boiteux, mais un minimum d'humanité. Elle ne cherche pas forcément à paraitre bonne et elle sait que son passé est peu glorieux, truffé de violence et ayant impliqué des actes de nature criminelle. Néanmoins, elle en est sortie et aspire à changer de vie, ce qui dénote une certaine forme d'indépendance de caractère et une capacité à faire un minimum d'introspection. Tout au long de sa mission, on perçoit que Sarah tâche avant tout de survivre et que les grandes aspirations de reconquête ou de théorie raciale la laisse de glace. C'est un personnage pragmatique et un brin cynique, mais elle attache de l'importance au sort de ses deux collègues et comprend que le monde ne se divise pas entre Blanc et noir. Et chapeau au concepteur graphique, Patrick Connan, qui lui a fait cette apparence aussi badass que stylée. Qui a dit que le rose ne pouvait pas être "virile"? Un dernier aspect que j'ai vraiment apprécié de Sarah est le fait qu'à aucuns moments elle ne se soit arrêté au physique des gars ou pâmée sur l'un d'eux. Sarah est l'une des rares héroïnes qui n'a véritablement pas d'intérêts amoureux ou sexuel et ça fait vraiment du bien de voir une fille penser à tout sauf à l'Impératif Masculin. Ah, et Sarah, toute proportions gardés, jouit d'une chance un brin insolente.


D'ailleurs, et ça aussi c'est rare en littérature ado: Aucune romance! Yeah! Qui plus est, il n'y a pas de "compagnon" masculin, vous savez, ce personnage secondaire qu'on colle au principal histoire d'être politiquement correct pour le lectorat ou en vue de la romance obligatoire susmentionnée? Nope, ici, on a nos trois protagonistes, les deux fées qui sont des alliés par procuration pas toujours sympa, plusieurs femmes à la tête de divers groupes, une Caporal, bref, beaucoup de personnages féminins qui ont une bonne tête et aucuns des rôles ultra-stéréotypés féminins. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de personnages masculins, mais pour une fois, ils sont moins nombreux, souvent moins importants et je note qu'à aucuns moments ils n'ont été macho. Aucunes allusions sexuelles, pas un geste sexuellement déplacés, pas de viols, pas d'allusions à un physique avantageux chez un personnage féminin. J'ignore si Monsieur Valroff s'en est rendu compte ou a conçu son roman volontairement en ce sens, mais pour une fois, je trouve que le roman met en valeur les filles sans tous les stéréotypes sous-jacents et implicites qui sont le lot des romans pour ado avec des héroïnes. C'est donc du vrai féminisme, à savoir, l'égalité entre hommes et femmes.


Maylis aussi était un personnage original. Elle a la réplique acerbe et sardonique, bien souvent, et elle ne laisse aucunement impressionner. Sauf quand la vie d'une amie est en jeu. Maylis est intelligente, perspicace et intuitive. Elle a aussi un côté très coquet, un trait qu'elle avait quand elle était humaine et qu'elle continue d'assumer. J'aime bien cette combinaison de "j'aime prend soin de moi sans être une cloche pour autant".


Léa a treize ans et la petite dragonne a assisté au massacre des siens, de sa mère plus spécifiquement. Elle en garde donc un état anxieux. Léa est naïve, parce qu'elle est jeune et que certains aspects lui échappent encore dans ce monde d'adultes, mais elle n'est pas non plus crédule. C'est un personnage au tempérament doux, qui n'aime pas la dispute et la confrontation. Sarah et Maylis ont souvent une attitude de grandes soeurs face à elle. Ceci-dit, Léa étant une dragonne, elle a officiellement le rôle du "garde-du-corps" puisqu'elle crache le feu ( maladroitement).


Les deux Fées, Kala et Zerka , tout comme la plupart des personnages, sont aussi très nuancés. Parfois, on sent leur volonté d'être droites et empathiques, alors qu'à d'autres moment, elles sont à la limite de la cruauté. Elles vivent avec une condition particulière: les Fées ne peuvent pas tuer. Sinon, elles se corrompt et cela signifie qu'elles seront rejetées par les leurs. Les fées sont globalement peu logiques, imprévisibles et peu enclines à faire de grandes réflexions. À certains égards, on dirait des petites filles un peu fofolles qui détestent tout ce qui est cartésien, froid, anguleux et cohérent. Sauf Zerka, qui est la tête administrative de sa région. Il en faut bien une pour penser logiquement et faire des stratégies. Fait notable: les Fées sont gay, puisqu'il n'existe pas de mâles fées. Kala tend dangereusement vers les travers moraux humains, pour sa part, mais s'adoucie au contact des trois héroïnes. C'est un personnage qui change beaucoup.


Je dois souligner un truc sur les fées. Oui, on les décrit comme des êtres qui ont l'air d'avoir une approche de la vie chaotique, voir une tête en l'air carrément encastrée dans les nuages. Certes lecteurs ont évoqué que cela n'avait pas de sens alors qu'elles sont aux commandes du monde. Je vous pose cette question : Ça fait du sens, peut-être, que les huit milliards d'abrutis que nous sommes courent à leur perte parce que l'argent, le pouvoir et le sexe nous rendent à ce point aveugles et débiles que la planète est pratiquement vouée à griller comme une toast? J'dis ça comme ça...


Parlant de changement, il me semble que "le changement" est un thème central. D'abord, nous avons un antagoniste qui opère des changements dans l'espace lui-même. Une station-service, une bécosse/toilette chimique, des cigarettes à la tonne, une station de Métro, il semble avoir des pouvoirs nihilistes et on l'appelle "le sorcier". Les changements qu'il apporte sont de plus en plus marqués et semblent devenir de plus en plus malsains. le mystère quand à son "pouvoir" est l'élément mystérieux du récit, surtout combiné au comportement pour le moins étrange de son dépositaire.


Le changement se voit aussi dans le monde en lui-même, forcé à se réinventer pour survivre. Certains ramènent des notions archaïques comme les théories raciales, d'autres tentent de ramener une forme d'ordre, qui rappelle le capitalisme et la monarchie. D'autres encore, ramènent le commerce. Ce qu'on voit dans cette histoire, c'est l'absurdité de certaines de ces idées, parce que le monde a définitivement changé. Pourquoi ramener des concepts qui étaient déjà mauvais "avant" l'invasion? Nostalgie? Espoir? Bêtise humaine?


Enfin, et j'aime bien cette dimension, il y a le changement des personnages. Sarah est non la moindre. Elle tient d'ailleurs un touchant discours sur ce qui l'avait menée à être ce qu'elle était: une meurtrière, une tortionnaire et une membre de gang. Ce qu'on en comprend est que les gens se retrouvent parfois dans des situations qui les dépassent eux-même, entrainés par l'effet de groupe, aveuglés par le besoin de survis et incapables de discerner le "besoin" du "crime". Dans un contexte de survie, les codes moraux, les conceptions du bien et du mal deviennent floues. Ce qui importe alors, c'est la capacité d'introspection, de pouvoir se regarder soi-même et se demander si ce qu'on y voit est en accord avec nos valeurs profondes, notre tempérament et notre code moral personnel. Si cela correspond à son "soi idéal", comme on dirait en psycho. En ce sens, Sarah est le genre de personnage qui a réussi à faire cette démarche, mais comme on le dit souvent, changer n'est pas simple. On ne change pas tant le tempérament ou les traits de personnalités, ils font parti de nous. En revanche, on peut changer les valeurs auxquelles on adhère et on peut tendre vers un idéal de soi. Dans la veine des changements chez les personnages, il y aussi toute la question des liens entre les trois héroïnes, qui sont malmenés, mais finalement plutôt solides.


Seul petit détail technique qui manquait au récit: les besoins de base. J'avais l'impression que Sarah et ses amies n'avaient jamais faim, jamais sommeil et ne vivaient aucun inconfort lié à l'hygiène. Compte tenu du contexte, ils auraient du souffrir des trois au moins de temps de temps. Je pourrais ajouter qu'elles n'ont jamais envie d'aller au toilettes, mais de manière générale, les personnages de roman semble n'avoir aucune vessie...


Aussi, j'apprécie le degré de vraisemblance du récit. Je m'explique: je reproche souvent aux auteurs/autrices américain.e.s de faire dans le sensationnel outrancier, rajoutant couches sur couches des drames inutiles et grandiloquents, du "sérieux" à la limite du ridicule et des improbabilités de scénarios à la Chuck Norris lassantes. Mais ici, les personnages sont parfois maladroits, ils font des erreurs stupides et ils ne sont pas parfaits. Certaines situations cocasses ne sont même pas le fruit des personnages, mais d'éléments extérieurs hors de contrôle. C'est ça la "vraisemblance". Une certaine forme de réalisme, pas dans le sens de "réel", mais dans le sens de "crédible". Ici, on reste à un niveau local, quelque part en France, avec une situation pénible, mais pas de taille à refaire le monde grâce à un micro-groupe de personnes, façon Divergente ( un exemple typique d'Invraisemblance totale).


En conclusion, je dirais que derrière les répliques comiques, l'humour noir, les éléments parfois absurdes et la présence des éléments de l'univers Merveilleux réappropriés, on a un degré de profondeur bien réel et une dimension très humaine. Un peu à la manière de Félicratie, de H.Lenoir. On oublie que les romans qui ont la fibre humoristique peuvent être très pertinents et humains. Je suis agréablement surprise par le traitement des personnages féminins, très moderne et féministe, par l'audace du style et par l'efficacité du rythme. Une chose est sure, on sort des sentiers battus et j'ai ici un roman de plus qui illustre qu'on a tort de bouder les personnages féminins. Des personnages comme Sarah, Maylis et Léa, on en mérite davantage et des genres malmenés comme le Merveilleux, ça s'apprécie.
Un "Olibrius" comme je les aime.


Pour un lectorat du second cycle secondaire, 15 ans +, qui peut aussi plaire aux jeunes adultes.


Pour les profs et les bibliothécaires: Il y a présence de jurons et termes grossiers, rien de très sévère, cependant. La dernière partie du roman contient de scènes d'un bon niveau de violence, et il y a des meurtres. Aucune présence de violence sexuelle.


* Qu'est-ce que cette mention? Une petite nouveauté personnelle de libraire qui aime mettre de l'avant les romans atypiques, originaux et inclassables ( ou presque). Ça n'a donc rien de très "glorieux", mais ça vous donne une idée du genre de livre présent ici.
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