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Critique de Basilio


La Geste des Princes-Démons réunit en un seul ouvrage cinq romans de science-fiction à l'origine publiés séparément par Jack Vance, entre 1964 et 1981. Il s'agit d'enquêtes et dans chacune, le personnage de Kirth Gersen traque l'un des cinq Princes-Démons - cinq criminels à la notoriété cosmique.

La raison de cette traque – le massacre par les Princes-Démons de la famille de Gersen lorsqu'il était enfant - est juste un prétexte, très brièvement évoqué : La Geste des Princes-Démons n'est pas le Comte de Montecristo, le lecteur n'est pas révolté par l'iniquité des mauvais, et la motivation – souvent vacillante - de Gersen relève plus d'une discipline de vie que d'un véritable désir de vengeance.

Les cinq récits accompagnent Gersen au cours de ses errances spatiales entre diverses planètes et leurs populations. Ces investigations hasardeuses sont vite distraites de leur objectif par l'apparition de quelque figure féminine, charmante au demeurant. Elles ne convainquent pas vraiment par leur efficacité : la réussite et la survie de Gersen semblent plutôt dues à la chance ou bien à la négligence de ces grands méchants dont la réputation paraît somme toute assez surfaite.

Du début à la fin de la série, Jack Vance ne parvient pas à donner une carrure à son héros, qui vacille entre froideur et sentimentalisme. Sur le point des relations amoureuses d'ailleurs, la juxtaposition des cinq histoires a pour effet malvenu de faire de Gersen un vrai « coeur d'artichaut »... Quant aux Princes-Démons, Vance ne réussit pas non plus à leur donner de l'envergure. Ils deviennent au fur et à mesure des tomes de sales gamins gâtés aux objectifs d'une puérilité dérisoire, et l'on s'étonne que leur intelligence prétendue redoutable ne les dissuade pas de tomber la tête la première dans chaque piège tendu par Gersen.

Malgré ces défauts, la lecture de l'ouvrage est agréable. le style est bon ; et c'est non seulement sans ennui mais avec plaisir que l'on suit l'enchaînement des péripéties et des aventures romantiques du héros - même si l'on n'y croit pas trop, un peu comme dans les James Bond. de surcroît, Vance excelle dans les scénettes intermédiaires, la caractérisation des personnages secondaires, les dialogues légers et spirituels, parfois succulents. Et bientôt les faiblesses de l'enquête importent peu, le lecteur sent qu'elle n'est qu'une excuse, qu'elle n'est pas le véritable sujet, que l'intérêt du livre est ailleurs.

Cet intérêt, il ne le trouvera pas non plus dans la science-fiction à proprement parler, car Jack Vance ne cherche visiblement pas à anticiper la technologie ou les gadgets de la vie courante. Non, c'est dans l'ethno-fiction, lorsqu'il s'agit de traiter de l'ethnographie des peuples planétaires, de leur milieu de vie, de leur histoire et de leurs coutumes que l'auteur atteint la pleine dimension de son imagination. Son sens du pittoresque, dans les paysages, dans les moeurs, est tel qu'on pourrait parfois même parler de tourisme–fiction : le Manuel Populaire des Planètes, que Vance cite à plusieurs reprises en début de ses chapitres, préfigure le Guide du voyageur galactique. Les descriptions de ses mondes nouveaux sont intensément exotiques. Elles font plus que s'imposer visuellement ; elles sont sensibles. le lecteur reste frappé de détails subtils comme le rendu précis de la couleur du soleil local, mauve, bleuâtre ou orangé, sur les façades des habitations, sous les ombres des végétations curieuses. Il conserve l'impression vive de s'être lui-même attardé à siroter un cocktail insolite en compagnie d'une jeune femme aimée, sur une terrasse de l'Esplanade d'Avente, le long de la riviera d'Aloysius ; d'avoir contemplé le coucher de Vega sur les vagues noires de l'océan du Thaumaturge ; d'avoir visité en secret les quartiers luxueux et paisibles de la planète Methlen ; d'avoir assisté au violent hadaul des peuplades Darsh sur Dar Sai.

On peut alors faire le constat de tout ce que les oeuvres plus récentes du roman, du cinéma, du jeu vidéo, de la bande dessinée, doivent à Jack Vance ; ce que les sauts dans l'hyperespace doivent à son « interscission de Jarnell » ; ce que la Tatooine de Star Wars doit à sa planète Dar Sai ; ce que le concept du jeu Elite, ou la série Cowboy Beebop doivent au monde et à l'auberge de Slade, ses prospecteurs stellaires et ses chasseurs de primes ; ce que Jurassic Park doit à la réserve naturelle de la planète Bethune, qui ne se visite pas sans danger, et seulement en véhicule, entre deux rangées de hauts grillages électrifiés...

En résumé, la Geste des Princes-Démons n'est pas une enquête policière. Ce n'est pas non plus une vendetta. C'est un voyage dans l'un des plus riches imaginaires du répertoire exoplanétaire et de l'infini spatial.
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