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Critique de Musa_aka_Cthulie


Commençons par le commencement, à savoir le le titre. Voilà des auteurs qui ne se mouchent pas du pied, en prétendant écrire un livre qui serait une bible sur le mouvement steampunk, à savoir à la fois un ouvrage exhaustif (ce qu'il est loin d'être) et la référence incontournable en la matière (ce qu'il n'est pas davantage). Et ce n'est pas chipoter que de critiquer ce titre on ne peut moins prétentieux, car il résume bien tout le manque d'humilité des auteurs (il faut voir le panégyrique consacré à Jeff Vandermeer en fin d’ouvrage !!!) - ainsi que les limites qui en découlent forcément.


Cet ouvrage est typiquement américain, c'est-à-dire qu'il est un exemple parfait de ce que la culture américaine peut produire de plus détestable. Il est autocentré (américanocentré, devrais-je dire), en cela que les auteurs ont choisi de s'enfoncer des œillères pour tout ce qui concerne le mouvement steampunk hors des États-Unis d'Amérique (deux pages sont consacrées vite fait à la France et au Brésil en fin d'ouvrage, histoire d'avoir l'air ouvert sur le monde). Il fait peur tellement les personnes interrogées et les auteurs font preuve d'un manque de culture flagrant : ainsi, on apprend que les membres du mouvement steampunk connaissent Jules Verne via Disneyworld, mais que ses livres, si jamais ils en ont ouvert un, leur sont tombés des mains... Les auteurs de l'ouvrage, quant à eux, ne voient qu'une seule influence aux romans de Wells et Verne : Edgar Poe.


Lorsqu’ils s'intéressent vaguement à la France, c'est pour vanter l'originalité des Machines de L'île, à Nantes, patrie de Verne. Comme ils n'ont guère enquêté, ils ne savent pas que ces machines sont une variation des Géants de la compagnie Royal de Luxe, qui marchent tellement bien que la troupe vit sur ces acquis depuis plus de vingt ans et que Les machines de l'île procèdent du même phénomène. Il y a bien longtemps que les fondateurs de Royal de Luxe (et donc des Machines de l'île) ont cessé d'être inventifs, mais ça, Vandermeer ne le sait pas. Tel un touriste lambda, il se laisse avoir à l’esbroufe par tous les projets soi-disant steampunk qui fleurissent ici et là et dont on ne conçoit guère l'intérêt, ou, du moins, l’originalité (il faut voir comme les réponses des créateurs aux questions qu'on leur pose sont creuses). Il ne voit pas, pas plus que les personnes qu'il interroge, que la plupart des projets steampunk évoqués prennent racine dans l'art brut, l'art folk, l'art outsider - l'obsession créatrice en moins. Il ne connaît pas Max Ernst (artiste surréaliste pourtant suffisamment célèbre), donc ne sait pas que celui-ci a concocté des œuvres à base de collages et de gravures autrement plus intéressantes et délirantes que celles qu'on nous donne à voir ici.


Je passe sur le fait que je ne sais quelle personne interrogée prétend que l'intérêt du public pour les dissections est typiquement victorien (ça date du XVIIIème siècle, en fait, et c'est pas du tout originaire d'Angleterre, mais plutôt de France ou d'Italie), ou que tel autre pense que le motif de l'insecte, de l'organique en art est également typique de la société victorienne (c'est typiquement Art Nouveau, et plus belge, allemand, autrichien, français, hongrois ou italien qu’anglais). Enfin, je n'ai absolument pas compris pourquoi on voulait à tout prix fourrer l'artiste Kris Kuksi dans le carcan du steampunk. Bref, l'ouvrage révèle une belle étroitesse d'esprit, une culture des auteurs extrêmement lacunaire et un contenu assez pauvre.


D'autant plus pauvre que Vandermeer ne s'est pas donné la peine de réfléchir vraiment à ce qu'est le steampunk. Aussi n'y voit-il qu'un chouïa d'intérêt pour la science et la technologie associé à une tendance au bricolage et à une esthétique et à un cadre pseudo-victorien (oui, parce qu'à la fin du XIXème siècle, le monde entier se résumait à l'Angleterre victorienne). Je ne m'étendrai pas sur le fait que la littérature steampunk, notamment, ne prend pas forcément racine dans un cadre rétro-futuriste fin XIXème. Qu'en est-il de la référence à la culture populaire, si chère au steampunk, au jeu constant des références littéraires, historiques et autres ? Vandermeer n'en a cure, il n'y a même pas songé. Au moins, l'ouvrage d’Étienne Barillier sur le même sujet, bien qu'écrit dans un style assez lourd, posait, lui, toute une série de questions intéressantes sur le steampunk.


Quelques qualités, cependant. Le style est agréable, ce qui est rare dans un ouvrage de ce type. Les chapitres consacrés à la naissance de la littérature steampunk et à la BD sont corrects (celui sur le cinéma est en revanche ridicule, tellement le manque d'analyse fait défaut). Et il faut bien reconnaître à Vandermeer l'ambition d'embrasser tout le phénomène steampunk et de ne pas se limiter aux domaines habituellement abordés : littérature, cinéma, BD, jeux vidéo. Seulement, voilà, La Bible steampunk confirme ce que je supputais déjà : la communauté steampunk n'est pas plus intéressante qu'une autre. Elle ne l'est sans doute pas moins, mais, malheureusement, ce que Vandermeer fait ressortir ici, c'est l'idée que le steampunk est pour beaucoup de gens un passe-temps comme un autre et que beaucoup de membres de la communauté se contentent de pérorer. Les seules personnes intéressantes (bon, peut-être pas les seules, mais presque), qui ont réellement quelque chose à dire, sont les membres du groupe Humanwine, qui revendique un positionnement politique et dit chercher à lutter contre l'abrutissement de la société. Mais ceux-là ne se revendiquent pour autant pas comme steampunk...
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