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Critique de lglaviano


UNE VISION PARTISANE ET RÉDUCTRICE DE L'OeUVRE D'ARGUEDAS:

Mario Vargas Llosa est bien évidemment un grand écrivain, justement nobélisé en 2010, au souffle puissant et au regard souvent bien aiguisé dans l'observation des réalités sociales de son pays et de son époque.
Néanmoins, les détracteurs de ce livre précis (et de Vargas Llosa) lui reprochent de présenter une vision partisane et réductrice de l'oeuvre d'Arguedas, sur fond de jalousie vague d'écrivain pour un devancier admiré.

Ces "arguédiens" parlent même à propos de ce livre de « parricide intellectuel » et d'un contre-sens complet de Vargas Llosa sur l'oeuvre et l'optique d'Arguedas : pour eux, Arguedas est tout sauf passéiste ; il ne prêche pas un retour au passé, mais bien au contraire une transformation du présent et l'espoir d'un avenir assumé par la population indienne. C'est le sens de l'oeuvre que met en évidence IsabelleTauzin-Castellanos dans son remarquable livre de « Lecture de Los Ríos profundos de J.M. Arguedas » (éditions "ellipses") : pour elle, c'est l'un des messages de Los ríos profundos qui s'achève sur une première mobilisation des paysans. L'étude de la temporalité, la recherche de l'autre cours du temps, puissant et tendu vers le futur, tel un fleuve souterrain et un "fleuve de sang", image récurrente dans le roman (et présente comme métaphore dans le titre d'une oeuvre précédente : « Yawar fiesta, La fête du sang »), permettra de montrer l'unité structurelle et la richesse tant thématique que stylistique de Los ríos profundos, au-delà des enjeux idéologiques. L'écrivain José María Arguedas et l'ethnologue sont un seul homme ; narrateur et auteur partagent un savoir commun et aspirent à le communiquer : Arguedas connaissait sans aucun doute possible ces sujets mieux que Vargas Llosa. L'avenir du roman arguédien se trouve dans la reconnaissance d'une littérature hétérogène, tentative réussie d'une fusion culturelle qui condamne la domination séculaire.
Et très certainement, pour Arguedas, la vision du monde et la spiritualité des amérindiens, ainsi que leurs concepts de solidarité sociale mise en oeuvre réellement et quotidiennement, depuis les époques précolombiennes jusqu'à nos jours, contiennent plus les germes d'un futur possible que les déséquilibres graves et dangereusement prédateurs du capitalisme occidental et bientôt (provisoirement ?) mondialisé. Il n'est donc pas "archaïque". Mais il dénonce des erreurs et des injustices qui gênent Vargas Llosa.
Ce contre-sens de Vargas Llosa serait d'autant plus explicable que l'utopie dénoncée et caricaturée ici par lui fut aussi une de ses tentations de jeunesse, qu'il renia par la suite et dont il avait besoin de se démarquer vigoureusement comme d'un égarement idéaliste, en même temps qu'il tourna le dos radicalement au communisme castriste, par déception fondamentale certes, mais pour embrasser, hélas, la cause ultralibérale…

Les analyses de Vargas Llosa pour tenter d'expliquer le suicide d'Arguedas, qu'il aimait sincèrement, ont plus de pertinence. Car il est vrai que celui-ci était douloureusement écartelé entre son désir de garder le plus intact possible l'héritage socioculturel et civilisationnel amérindien et même précolombien, et sa volonté d'aider les Indiens à sortir de leur misère ─ et donc peu ou prou à s'acculturer, et à réparer l'injustice fondamentale qui leur fut faite par son adhésion à la vision progressiste du socialisme. Arguedas n'a jamais vraiment réussi à surmonter cette contradiction. Mais Vargas Llosa a préféré la nier…
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