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Critique de Presence


Ce tome comprend les épisodes 1 à 6 d'une série indépendante, écrite par Brian K. Vaughan et illustrée par Fiona Staples. Ces épisodes sont parus la première fois en 2012. Vaughan est un scénariste accompli que ce soit sur ses propres créations (Ex Machina et Y le dernier homme) ou sur des superhéros Marvel (Les Fugitifs et Ultimate X-Men).

Sur la planète Cleave, Alana est allongée sur une table ; elle est en train d'enfanter. Elle est assistée en tout et pour tout par Marko, son amant, le père de sa fille à naître. Elle espère de tout coeur que ses sphincters ne vont pas lâcher. L'accouchement se déroule sans heurt et Marko coupe le cordon ombilical avec les dents. Ils doivent cependant prendre la fuite séance tenante car ils sont découverts par Baron Robot XXIII et ses hommes. Ils se retrouvent au milieu d'une échauffourée entre cet escadron et un contingent de Wreath. Alana et Marko (et leur fille nouvellement née) forment un couple qui refuse de prendre part au conflit qui oppose les habitants de la planète Landfall (des humanoïdes disposant d'une haute technologie, ayant des écrans moniteurs à la place de la tête) et les habitants de Wreath (la lune de Landfall) adeptes de la magie. le trio arrive à sortir sain et sauf de l'affrontement et à récupérer une carte de Cleave leur indiquant où se situe la forêt des vaisseaux spatiaux. Vez (une femme avec une corne de licorne sur le front) engage The Will et Lying Cat pour exécuter le couple de fuyards. Sur Landfall, un officiel désigne Prince Robot IV pour effectuer une chasse à l'homme avec le même but. Les premières semaines du bébé s'annoncent mouvementées.

C'est quoi ce truc ? Voyons voir, ça commence par un accouchement, ça continue par une escarmouche entre technologie et magie, ça dérive vers une guerre galactique, ça revient à une traque avec un bon vieux chasseur de prime. Les héros pataugent dans une canalisation d'égout, il y a des gens avec une tête en forme de téléviseur et, en commentaire, le lecteur a droit aux réflexions sporadiques de l'adulte regardant le nouveau né qu'il a été... sans oublier le passage par Sextillion, la planète lupanar. Essayons de prendre ça morceau par morceau. Commençons par la science-fiction. le résumé ci-dessus peut évoquer quelques composantes piochées à droite et à gauche. le lecteur peut même avoir l'impression que Vaughan ne se donne même pas la peine d'être crédible : une opposition basique et manichéenne de la science contre la magie. Toutes les planètes de la galaxie qui sont embringuées soit d'un coté, soit de l'autre, sans alternative ; ça ne fait pas très élaboré. Un passage par les égouts (évacuation des déchets), un chasseur de primes aux trousses des héros, ça évoque un peu la trilogie originelle de Star Wars. Malgré tout il n'est pas possible de parler de plagiat dans la mesure où il apparaît des ingrédients originaux tels qu'un vaisseau spatial qui sort de l'ordinaire tant par sa conception que sa représentation, ou des races extraterrestres qui sortent de l'ordinaire, à commencer par les hôtesses d'accueil de la planète Sextillion. À plusieurs reprises, Fiona Staples opte pour une représentation littérale du caractère étranger des extraterrestres à commencer par les écrans de télévision en lieu et place de la tête. Ça ne fait pas très sérieux ces écrans de télé, le lecteur a l'impression d'une parodie plutôt que d'une histoire premier degré... sauf que le récit recèle aussi des visuels inventifs premier degré en terme de science-fiction. Bon bref, l'intérêt premier de cette lecture n'est pas à chercher du coté de la SF. D'autant que Fiona Staples ne se décarcasse pas non plus inventer des endroits futuristes qui décoiffent. En fait ça dépend des scènes, la plupart dispose de décors plus ou moins vagues, mais certaines bénéficient de lieux à couper le souffle.

Du coté de l'opposition entre une société tout technologique ou tout magique, l'intérêt est également à relativiser. Il s'agit (au moins pour ces épisodes) d'un principe qui permet de justifier ces têtes de téléviseur (j'ai vraiment du mal à m'y faire), d'introduire quelques remarques en douce sur la véritable nature des corps des habitants de Landfall, et de jouer avec des formules magiques, avec de jolis effets pyrotechniques, mais guère plus.

La composante horrifique est plus prégnante et plus convaincante. Il y a déjà au premier niveau des affreuses bébêtes à l'apparence contre-nature qui sont assez réussies du point de vue visuel. Par exemple The Stalk (une chasseuse de primes) a un corps qui joue avec les répugnances du lecteur de par sa forme, mais aussi de par son langage corporel. Fiona Staples révèle à plusieurs reprises sa capacité à concevoir une image dérangeante. À ce titre celle des fantômes est vraiment difficile à soutenir dans son alliance d'éléments contre-nature, en particulier pour Izabel. Cette composante horrifique est déclinée sous forme de visuels, mais aussi sous forme de situations peu ragoûtantes. Vaughan n'hésite pas un seul instant à intégrer un élément sordide (la prostitution enfantine) s'il estime que le scénario le requiert, ou de la violence qui tache (ingrédient plus habituel dans les comics américains).

De façon plus inattendue, Vaughan et Staples intègrent également la sexualité des personnages, et même leur nudité (pour le coup ils bafouent complètement les règles implicites des comics). Cette dimension n'a rien d'incongrue ou de racoleuse dans le cadre du récit, puisqu'il ne s'agit que d'une partie des moments consacrés aux aspects corporels. Dans ce registre, l'image de Prince Robot IV sur les toilettes reste longtemps en mémoire.

Mais la composante qui fait tout le sel de cette histoire est sans conteste les relations entre les personnages, et avant tout la personnalité d'Alana. Dès la première scène, sa saine franchise donne le ton de sa relation avec Marko. Alors qu'elle est la proie des douleurs qui accompagnent les contractions, elle s'inquiète que Marko puisse la voir déféquer en même temps et qu'il n'ait plus jamais envie d'elle. Alors que Baron Robot XXIII arrive et la somme de se rendre et de confier l'enfant, son juron est assez fleuri ("Suce mes hémorroïdes !"). Au fur et à mesure des pages, le lecteur ressent les émotions d'Alana avec force, et se prend de sympathie pour cette jeune femme courageuse aux convictions bien arrêtées. Marko apparaît un peu en retrait par rapport à sa femme. Par contre Vaughan réussit 2 autres personnages tout aussi affirmés qui sont Izabel (un fantôme) et The Will au comportement à la fois prévisible et très étonnant.

D'un point de vue graphique, le style de Fiona Staples s'inscrit dans une veine adulte (pas de rondeurs partout pour flatter l'oeil), sans exagération anatomique, éloigné des codes des superhéros (pas d'homme bodybuildé, ou de femme hypersexuée). L'apparence de chaque personnage est travaillée et s'inscrit sans difficulté dans la mémoire du lecteur. Elle ne s'intéresse pas toujours assez aux décors à mon goût (en particulier lors de la séquence sur Sextillion). Elle palie ce défaut en réalisant elle-même ses couleurs (à l'infographie) et en comblant les arrières plans avec des camaïeux abstraits. Malgré tout, quand les décors apparaissent, ils sont assez substantiels pour donner une idée de l'environnement au lecteur.

Il est impossible de classer ce premier tome dans un genre clairement défini. Vaughan emprunte et utilise les codes de plusieurs genres (science-fiction, horreur, comédie de situation) pour faire naître des individus à la personnalité affirmée, et qui ne manque pas d'humour, d'ironie et d'autodérision. Les illustrations de Fiona Staples disposent d'une forte personnalité graphique, avec un petit manque chronique dans les arrières plans. Ce premier tome se lit tout seul avec un fort pouvoir de divertissement et plusieurs réflexions qui ne demandent qu'à être développées.
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