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Critique de HordeDuContrevent


Auriane Velten m'avait fortement interpellée avec son premier roman « after® », lauréat du prix Utopiales en 2021. C'est ainsi avec un immense plaisir et beaucoup de curiosité que j'ai accepté de lire son nouveau roman en me demandant si l'univers très futuriste (la Terre dans 3000 ans) proposé dans « after® », composé d'humains non genrés et fortement conditionnés, dénués de sentiments, allait trouver de nouvelles ramifications dans ce deuxième opus. Je remercie très chaleureusement les éditions Mnémos pour m'avoir proposé de découvrir ce nouveau livre et de m'avoir accordé leur confiance.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette jeune auteure sait se renouveler. Si nous restons dans un livre d'anticipation, le futur est cependant plus proche, puisqu'il se déroule dans plusieurs décennies, et par ailleurs, ce livre est très différent du précédent tant dans l'histoire que dans l'ambiance créée. Point d'utopie collective autour d'un baobab cerné de terres brûlées moribondes, mais une histoire plus simple et réaliste, plus proche aussi en ce sens qu'elle résonne avec notre monde actuel, qui m'a laissée songeuse, une question lancinante notamment est venue me hanter : La nature humaine est-elle à ce point mauvaise de vouloir ainsi toujours transformer une belle opportunité, ou une innovation radicale, en une source de profit potentielle qui, exploitée à l'excès, conduit à des dérives, des souffrances, une perte de sens, voire une perte d'humanité ?
Les exemples sont légion. Prenons la méthanisation par exemple, voilà une pratique qui produit de l'énergie non fossile, un gaz combustible, en utilisant nos déchets organiques qui, en se décomposant en l'absence d'air, fermentent et dégagent ainsi une source d'énergie renouvelable. Sauf que cette pratique vertueuse qui s'inscrit en plein dans l'économie circulaire souffre de dérives pernicieuses : vu les profits possibles, on assiste ainsi à l'accaparement des terres pour produire de l'énergie au détriment de l'alimentation, ou à l'élevage intensif de bovins dans des conditions effroyables dans le seul but de récupérer toujours plus de déjections, occasionnant par là même odeurs incommodant les riverains et souffrance animale.

Bref, mes sujets du moment (la méthanisation notamment) me sont venus à l'esprit en lisant ce livre…qui n'a rien, mais vraiment rien à voir avec la méthanisation, je vous rassure. Mais le principe dénoncé est le même : une opportunité incroyable est transformée en une source de profit qui devient, à force, dénué de sens et d'éthique.

Cette opportunité est celle de la découverte et du contrôle d'une nouvelle dimension, la dimension de l'imagination et des possibilités insoupçonnées de créativité artistique qu'elle engendre.
Cette nouvelle dimension est apparue un jour subitement. Tout à commencer alors que la petite Sarah et sa mère se réveillent un matin atteintes toutes deux de vertiges, de pertes d'équilibre. Elles comprennent peu à peu que tous les humains semblent toucher par ce phénomène étrange qui rétrécit la vision périphérique donnant une sensation angoissante d'être dans un tunnel. Après quelques jours, la vie reprend son cours sauf que des individus, dont Sarah, sont sujets à des hallucinations particulières : la fiction, le fruit de leur imagination, devient réalité. le Repli, comme nous appelons désormais le phénomène inexpliqué vécu quelques temps auparavant, a en effet rompu les frontières entre réalité et imaginaire, permettant au monde parallèle de l'imagination d'oeuvrer dans notre monde. Cette faille bouscule les quatre premières à savoir longueur, largeur, hauteur et temps. C'est la 5ème dimension.
Très sincèrement, je ne sais pas si les explications données par l'auteure sont un tantinet crédibles, mais l'idée est séduisante et poétique et surtout ce n'est pas tant l'explication qui importe que ce que cela va engendrer, le livre flirtant en réalité entre science-fiction et fantastique.

Le livre tricote alternativement une maille à l'envers et une maille à l'endroit…Un chapitre consacré à Sarah, cette petite fille qui arrive avec talent à faire surgir tous les personnages aimés de son enfance depuis la Fée Clochette au gentil dragon, en passant par des lutins ou encore la panthère Bagheera. Nous suivons son évolution jusqu'à sa majorité. Les chapitres dédiés à Sarah sont des chapitres lumineux dans lesquels nous suivons avec délice les facéties de la jeune fille avec son amie Ada, les possibilités incroyables que permet son talent, l'audace inventive dont les deux amies font preuve. le chapitre suivant consacré à Sara, femme d'une cinquantaine d'années, technicienne de l'entreprise Cimqa qui produit des films et des publicités. La femme utilise son imagination pour produire les décors et les créatures, les édifices, le but étant de produire des éléments censés plaire à la majorité des spectateurs. Très investie dans son travail, anxieuse et fragile, elle sent cependant, dans sa manière de toujours devoir plaire au public, que cette activité chronophage la mine plus qu'elle ne l'épanouie.
Le lien entre Sarah et Sara va progressivement émerger. L'auteure, en donnant alternativement la parole à chacune, entretient savamment le suspense. A l'émerveillement fraîche et innocente de la première répond la lassitude désabusée, la liberté étouffée de l'autre.

Certaines thématiques présentes dans « after® » se retrouvent dans ce livre notamment celles liées au genre. Pas d'écriture inclusive cette fois-ci (sauf à quelques rares moments, ce que je n'ai pas compris, serait-ce des oublis ?) mais une dimension centrale accordée à l'homosexualité féminine.
Place belle est faite à toutes les interrogations qui traversent la jeune génération actuelle, la fameuse génération Z : celle du sens du travail et de l'épanouissement au travail, de la compromission de plus en plus insupportable pour cette génération de devoir sacrifier bien-être et vie familiale pour juste gagner sa vie au moyen d'une activité dénué de sens ; le questionnement relatif à la liberté d'expression et de création ; celle de nos vies personnelles où la frontière entre vie privée, vie professionnelle et vie sur les réseaux est parfois difficile à délimiter ; ou encore celle de l'importance croissante des écrans et des jeux vidéo. Elle aborde avec beaucoup de délicatesse l'intime dans ce contexte où les frontières entre privé et public sont poreuses.

« Elle avait envie de hurler : survivre ne me suffit pas ! Parque qu'elle ne supportait plus ce corset de la peur. Elle se sentait limitée, obligée, détournée. Elle ne voulait plus avoir à penser à l'argent, et à sa retraite, et aux prédictions, et aux chiffres de vente. Elle ne supportait plus de devoir. Elle avait besoin de pouvoir. Et de créer ».

Dans ce livre, Auriane Velten dénonce enfin avec brio cette façon de faire de l'art à la fois une source majeure de profit, un outil d'asservissement et un outil de pouvoir. L'art était déjà un sujet très présent dans son précédent livre. Elle propose ici une réflexion riche et pertinente sur la place de l'art et sa marchandisation au sein des sociétés capitaliste, mais aussi sur la perception du beau et la compromission de créer pour la majorité et non pour soi.

Cimqa est ainsi un livre de science-fiction doux et agréable, intimiste, dans laquelle l'imagination est superbement mise à l'honneur, à la fois encensée lorsqu'elle est libre et innocente, et dénoncée lorsqu'elle devient source de profit et de pouvoir. Et pour en parler avec autant de plaisir, avec autant de beauté, avec autant d'audace, c'est certain, Auriane Velten en fait preuve elle, d'imagination, et qui plus est d'une imagination tout à fait singulière !


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