AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de YvesParis


Professeur d'histoire contemporaine à Paris-1, Pierre Vermeren signe un ouvrage aux frontières de l'étude universitaire et de l'essai polémique. Son sujet ne se comprend pas immédiatement à la lecture de son titre et a besoin d'un sous-titre pour s'éclairer. le « choc des décolonisations » dont il parle n'est pas seulement celui des années 60 qu'une lecture trop hâtive de l'histoire réduit au départ de la France de ses colonies et à leur accession à l'indépendance. Ce choc s'étend en fait jusqu'aux printemps arabes qui marque, selon lui, après les « indépendances confisquées » par des élites corrompues et brutales, une « seconde décolonisation ».
Pierre Vermeren dresse un constat très négatif de la décolonisation dans la première partie de son livre. Des régimes autoritaires ont été instaurés, qui ont souvent reproduit les modes de gouvernement du colonisateur, brisant les rêves de démocratie. Les libertés publiques n'ont jamais été établies. Les puissances occidentales ont fermé les yeux sur ces dérives au nom de la lutte contre le communisme jusqu'en 1989, contre l'islamisme ensuite. Mais, la responsabilité de cette histoire incombe au premier chef, selon Pierre Vermeren qui les connaît bien pour leur avoir consacré sa thèse de doctorat en 2000, aux élites de ces pays auxquelles la deuxième partie de l'ouvrage est consacrée. Il a la dent dure avec elles, leur reprochant de s'être approprié l'Etat néo-patrimonial, d'avoir chaussé les habits du colonisateur, instauré le culte de la personnalité, muselé l'opposition et mobilisé les populations autour d'idéologies délétères (marxisme, panarabisme…).
Dans une dernière partie, Pierre Vermeren renverse la perspective pour s'intéresser à la France et aux Français face à leurs anciennes colonies. L'historien fait ici oeuvre d'historiographe en soulignant que la fin dramatique de l'Algérie française a renvoyé dans l'ombre de la mémoire nationale tout le passé colonial. La remarque n'est pas sans finesse mais occulte la part autonome qu'occupe la mémoire de la colonisation de l'Afrique noire, dont témoignent par exemple les cérémonies du cinquantenaire des indépendances en 2010. Il fait également oeuvre de sociologue en dressant un tableau, trop bref, des colons après 1960, une majorité de pieds-noirs « aisés mais ruinés » (re)venant en métropole et remontant en silence dans la hiérarchie sociale d'une France en plein boom économique, une minorité de pieds-rouges déchantant vite au piège de la révolution algérienne. Plus de cinquante ans après les indépendances, les témoins directs de cette page de notre histoire cèdent la place à des générations qui ne connaissent pas ces pays et embrassent souvent des positions radicales, soit en rejetant par idéologie le colonialisme et en se berçant d'illusions tiers-mondiste, soit au contraire en versant dans la nostalgie du colonialisme et dans son corollaire, l'afropessimisme.
On l'aura compris : ce livre est ambitieux qui embrasse le temps long de la colonisation, de la décolonisation et de l'actualité la plus contemporaine. Il embrasse aussi un vaste espace : le Maghreb – dont Pierre Vermeren, qui lui a consacré ses précédents ouvrages, est un spécialiste reconnu – mais aussi l'Afrique subsaharienne, sur laquelle ses connaissances sont moins précises, quand il fixe la date de parution du brûlot de François-Xavier Verschave La Françafrique en 1988 ou attribue à Jean-Pierre Bat une thèse d'histoire sur la guerre du Biafra qu'il n'a pas écrite. Cette extension géographique ne convainc pas totalement. L'évolution des régimes nord-africains – entre lesquels l'auteur prend soin de distinguer systématiquement les cas fort dissemblables du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie – n'est guère comparable à celle des régimes subsahéliens – où là encore toute tentative de généralisation se révèle hasardeuse. L'histoire du Maghreb précolonial et les modalités de la colonisation française en Afrique du nord sont d'une essence profondément différente de celles qui caractérisèrent l'Afrique occidentale et équatoriale française. D'ailleurs, il n'est pas anodin que l'onde de choc des « printemps arabes », qui s'est fait sentir du Maroc au Bahreïn, n'ait qu'à peine effleuré l'Afrique subsaharienne, à supposer que le renversement de Blaise Compaoré au Burkina Faso puisse leur être imputé.
Commenter  J’apprécie          151



Ont apprécié cette critique (13)voir plus




{* *}