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Critique de motspourmots


Je m'attendais à beaucoup de choses de la part de Sigolène. A être déstabilisée. A devoir faire fonctionner mes méninges. A recevoir la face noire du monde. A vibrer aussi. Ce roman, je l'ai vue en gribouiller des bribes, sur un coin de table, un après-midi de salon du livre de Boulogne-Billancourt, cachée derrière une pile d'exemplaires du précédent, Les Jouisseurs. Elle le pensait âpre, peut-être même violent. Oui, je m'attendais à beaucoup de choses. Mais pas à ça. Pas à cette plénitude, cette chaleur, cette tendresse. Pas à cette sensation d'avoir entre les mains un roman aussi accompli qu'un classique. Un roman dans lequel on se sent bien, happé par le décor, par la bande des personnages qui l'habitent, par la lumière qui caresse les bâtiments, par les embruns qui salent les peaux.

Dans ce roman, l'auteure prend son temps. Celui d'installer ses personnages, de faire visiter les lieux, d'en raconter l'histoire, la complexité. Car il faut bien aller au-delà des raccourcis. L'étang de Berre. Synonyme d'usines, de fumées, de paysages défigurés. Pas question de les occulter, elles sont bien là. Dans la ligne d'horizon de Jessica qui, depuis la fenêtre de son appartement surveille les bancs de poissons tandis que près du chenal, son grand-père, Joseph attend son signal pour tendre les filets au bon moment avec Emile, son acolyte de toujours. Dans la ligne de mire d'Antoine et Dylan, les petits-fils d'Emile, tandis qu'ils trainent de l'étang à la plage. Dans la vie d'Ahmed, petit ami de Jessica et ingénieur à l'usine pétrochimique. Elles sont là, en pleine nature, au plus près des corps et des vies.

L'étang de Berre. C'est donc lui le personnage principal. Lui qui retient comme un aimant ceux qui vivent dans sa proximité. Lui qui abrite les bancs de muges dont on fait la poutargue avec les poches d'oeufs des femelles. Il y a ceux de l'étang, et les autres. Il y a des générations manquantes, des gamins élevés par leurs grands-parents, des trous à combler. Il y a ce curieux mélange des origines du peuplement, le communisme et les mathématiques, moteurs de l'industrialisation. Peu à peu, en cercles concentriques, le petit monde de l'étang de Berre s'anime, sous le regard tendre de l'auteure. Les bans de muges tentent de se frayer un chemin vers la mer, les mouches brouillent la vue, les peaux grattent, les cigales cassent les oreilles, les odeurs heurtent les narines... Il y a de la chaleur et du désoeuvrement. Des questions sans fin. Sur comment c'était avant. Sur comment ç'aurait été si... Sur la filiation, les attaches qui pèsent et leur manque qui détruit. Ou libère. Ils font ce qu'ils peuvent, tous. Ils sont surtout profondément humains.

Dans ce roman, les corps parlent, de façon souvent crûe, dans leur vérité naturelle, livrés aux éléments. Roman naturaliste ? Peut-être. En partie. Les sciences naturelles ne sont jamais loin. Les arts non plus. Mourir dans un musée, écrasé par une statue, ce n'est sûrement pas anodin. Les livres deviennent des messages codés. Les chats s'appellent Aristote. Il y a une histoire, bien sûr. Des drames. Des vies bouleversées. Mais on voudrait surtout ne plus jamais quitter cet endroit.

Un roman charnel, social, naturaliste... Pourquoi tenter de le ranger dans une case ? L'auteure réussit l'exploit de livrer un roman dense, complexe et pourtant limpide, fluide, lumineux. Qui parle au coeur, au corps et à la tête. Qui se vit autant qu'il se lit. Un merveilleux roman dont je suis sortie époustouflée.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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