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Critique de Nastasia-B


Quelle barbe, mes aïeux, quelle barbe ! Autant j'ai aimé L'Iliade et L'Odyssée, autant j'ai détesté L'Énéide. Il me faut pourtant, dès à présent, reconnaître un gros, un très gros, un immense avantage à cette oeuvre : pour quelques euros, voire aucun — car il traîne un peu partout dans les boîtes à livres —, vous pouvez acquérir un véritable remède contre l'insomnie, garanti efficace et sans accoutumance !

Oh ! l'odieux pensum que voilà ! Bon diou qué misère, peuchère, qué misère ! M'est tombé des mains au moins 7272 fois et j'ai arrêté de compter ensuite. Ça fait un an que j'y suis à me farcir cette purge, et elle m'en a fait baver ! Vous voulez mes impressions de lecture ? Ça va aller vite, croyez-moi, en deux mots, je dirais : CHIENLIT ABSOLUE.

Dans l'Iliade, dans l'Odyssée, on sentait le souffle mythique, on sentait l'apport de la tradition, une volonté étiologique, et tout et tout. Ici, on sent le vide, l'absence d'inspiration, la commande à plein nez, la volonté de légitimation d'une bande d'arrivistes qui se prennent pour des dieux. Je trouve ça nullissime, de la resucée de quatrième catégorie à visée bassement politique.

C'est à peu près aussi intéressant à mes yeux qu'une hagiographie d'Elon Musk, Jeff Bezos et Mark Zuckerberg réunis pour nous expliquer combien tous ceux-là sont de grands, de bons, de visionnaires dirigeants. Essayez à toute force de faire entrer un cube dans une boîte de conserve trop étroite et vous aurez le vibrant contenu de cette auto-justification, auto-proclamation de filiation divine pour le peuple romain.

Virgile est allé nous ressortir un quatorzième couteau de la Guerre de Troie, tellement marquant dans l'Iliade que je ne l'avais même pas retenu, et essaie très maladroitement de nous copier/coller le destin des héros principaux des mythes grecs pour nous expliquer que Rome, en fait, c'est tout pareil, et même encore mieux que l'original, si possible.

Alors, paraît-il, en latin, soit disant que ça en jette. Moi, je veux bien, mais je ne parle pas latin tous les jours, ni bulgare, ni japonais, voire à peine swahili. Donc je m'en remets aux traductions.

Premier essai, la traduction de Maurice Rat aux éditions GF. Pffff ! Rat-le-bol. Abandon après le livre second (sur douze). Deuxième tentative, l'édition bilingue des Belles Lettres, traduit par André Bellessort, texte établi par René Durand. Un micro chouia plus digeste, mais globalement la même farine. Au forceps, je suis allée au bout et j'en sors épuisée, écoeurée, énervée.

Je regardais de temps en temps en vis-à-vis le texte latin avec ce que je connais de latin. Dans les notes, le gars s'extasiait sur le texte, trouvait tout génial, là où moi je ne lisais que platitude et douloureux ennui. Bon, notre spécialiste reconnaît tout de même que par endroit, si l'auteur avait pu relire son manuscrit, il aurait changé deux ou trois trucs. Virgile lui-même, sentant sa fin toute proche, aurait demandé qu'on le brûle — le manuscrit, pas lui — preuve sans doute de l'excellence de l'ensemble, mais je n'insiste pas…

Alors, cahin-caha, Énée se barre du champ de bataille de Troie, avec son fiston et le paternel sur les épaules. On laisse bobonne se faire rôtir, bien entendu. Il chemine avec quelques potes, très vaillants, jugez-en puisqu'ils se tirent dare-dare au moment où les Grecs pénètrent dans leur ville.

Bref, Énée qui est né de Vénus, arrive bon an mal an jusqu'à Carthage où il rencontre Didon. Lui est beau, elle est belle, ils en pincent l'un pour l'autre, elle lui ouvre son coeur et son coffre, mais voilà, c'est impossible, les dieux, le destin, n'est-ce pas, vous comprenez, donc faut qu'Énée reprenne la mer. Amère, la Didon lui dit « Dis donc ? Avec tout ce que je t'ai filé ? T'es pas gêné, quand même, saloupiaud ! » Bon, elle est furax et elle se sent un peu la Didon de la farce. donc, auto-trucidation, donc ressentiment éternel de Carthage et patati et patata…

Le vieux d'Énée, Anchise, il claque en chemin, alors l'autre, ça le chiffonne un peu, il voulait sa bénédiction. À un moment, pour être bien sûr que sa destination, que la destinée du destin lui destine, c'est bien Rome et nulle autre, il se dit qu'il irait bien faire un petit tour aux enfers, histoire d'inspirer Dante (qui accomplira l'exploit, plus d'un millénaire après, d'écrire un truc encore plus chiant que Virgile, ça fallait déjà oser relever le défi), mais surtout, qui repompe gaillardement l'épisode correspondant de l'Odyssée. Bla-bla-bla et bla-bla-bla, oui, c'est bien mon gars, faut que tu walk the line, perds pas le cap, c'est bien là, vas-y fiston, Capri c'est fini, tous les chemins mènent tes Roms, arrivé là-bas, tu pourras prendre un rhum à ma santé.

Pas contrariant, Énée écoute papa Anchise avec franchise, puis écoute maman, Vénus avec… enfin peu importe, Vénus, donc, qui lui redit la même chose, car il est un brin dur de la comprenote l'Énée de la famille, elle lui fait des pansements et une boîte à goûter, car c'est une vraiment bonne mère cette Vénus, une bellissima mama et vous, vous ne regretterez pas d'être velus…, euh, Venus, voulais-je écrire.

Okay. Et les Latins, là dedans ? Bah, ils sont cons, les Latins, ils comprennent rien. Bon, faut dire qu'en plus il y a toujours Junon qu'a méchamment pas digéré le coup de la défaite de Troie et qui lui prépare deux-trois embûches, au Énée, en appelant à la rescousse des pseudo-divinités de sixième zone, pas des stars, bien entendu, sinon elle gagnerait, la mégère apprivoisée, mais des petites célébrités locales tout de même, histoire que ça dure, dure, duuuuuuuuure longtemps, longtemps, looooooontemps cette saloperie de machin latin simili mythe.

Ce faisant, parmi d'autres tocards à la manque, y a le Turnus et tout un tas d'inconnus qui se laminent, qui se transpercent, qui s'écartèlent, qui s'étripent, qui se lamentent, qui tombent et qui se relèvent, et qui repartent pour un tour, et ça n'en finit jamais, et c'est looooooong, et c'est chiant à mourir, d'ailleurs c'est ce qu'ils font tous à la fin, pour la plupart, mourir. Énée, qu'était un brave gars et qui voulait pas de tous ces massacres, il a été obligé, vous comprénée…, euh, comprenez, voulais-je écrire, mais c'était le destin, n'est-ce pas… c'était un gentil, dans le fond, devenu dominateur par obligation, n'est-ce pas, parce que c'est les dieux qui l'ont dit, bien obligé, pas le choix, et toute la fameuse marmelade du droit divin et tutti quanti.

Bref, et de tout ça, nous, Romains, on y l'est les plus beaux, les plus forts, les plus tout, et c'était écrit, mais comme, en fait, c'était pas encore tout à fait écrit à ce moment-là, l'imperator, Auguste, il a discrètement demandé à Virgile de lui pondre ce machin, un truc qui ferait date, qui attesterait, preuves indiscutables à l'appui, que les Romains sont bien des descendants avérés des dieux grecs en personne, voire, aussi du Popocatepetl si l'Amérique avait déjà été latine à cette époque. Enfin, ce sont des gens bien, vous voyez.

Donc, un condensé de propagande antique, de bricolage mythique à visée politique, du lent, du lourd, du traînant, du pénible, du hautement dispensable où tout est faux à la virgile près. Même « nos ancêtres les Gaulois » avait quelque chose de plus authentique et véridique que ce torchon-là, sacralisé par les siècles. Personnellement, je me demande pourquoi, mais bien entendu, ce n'est là, que mon tout, tout, tout petit avis de poisson rouge, haine & ide, c'est-à-dire, pas grand-chose.

P. S. (suite aux commentaires) : Si je déteste ce livre, c'est qu'il est vicié dès le départ. Un récit mythique, au sens de mythe fondateur, c'est quelque chose de très spécial : ça vient du fond des âges, on se l'est raconté sur des générations et des générations, donc, fatalement, cela a subi nombre d'altérations et de fabulations venant combler tel trou de mémoire ou tel élément factuel pour le rendre un peu plus reluisant ou sensationnel, mais, dans l'ensemble, cela possède toujours un fond de vérité ou d'une certaine manière de penser.

Par exemple, quand Homère nous parle des Cyclopes, cela fait référence à un fait réel et inexpliqué à l'époque de façon " logique " : la présence d'immenses crânes percés d'un seul orifice en Sicile. Personne ne sait plus d'où viennent ces crânes et ils se questionnent. DONC on invente une histoire pouvant rendre compte de cette présence avérée. Bien sûr, elle est fausse car ces crânes étaient des crânes d'éléphants, du temps fort ancien où la Sicile abritait de tels animaux (ce que ces gens avaient pris pour un oeil unique étaient en fait le trou de la trompe).

Mais ce mythe avait quelque chose de fondateur, d'authentique, témoignant de croyances ayant réellement eu lieu. Même chose pour Poséidon, « l'ébranleur de terre », qui expliquait l'inexplicable quand un redoutable séisme sévissait à l'est de la Méditerranée. Même chose pour Perséphone chez Hadès la moitié de l'année, etc., etc., la liste est sans fin. En outre, ici, avec Virgile, tout est entièrement reconstruit pour les besoins de la cause défendue : tout est inventé, tout a une fonction, tout se doit d'avoir une certaine RENTABILITÉ narrative.

Et c'est ça que j'exècre, cette reconstruction ad hoc dans un but précis, qui plus est, dans le but de légitimer et donner du lustre au pouvoir en place, encore pire à mes yeux. Rien n'est authentique dans l'Énéide, tout sonne faux car, stricto sensu, tout EST faux, rien ne s'appuie sur du réel inexpliqué, tout est apprêté, façonné, sélectionné, calibré exactement comme les historiens du XIXème réécrivaient l'histoire des deux côtés du Rhin dans un but de propagande précis.

Bon, encore, s'il n'était que le projet littéraire, ce serait seulement détestable, mais, dans le fond, pourquoi pas. Malheureusement, au surplus d'être trompeuse et manipulatoire, cette fiction est également, pour moi, d'un ennui mortel à lire, d'où le caractère tranché et univoque de cet avis.
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