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Critique de jeandubus


Double négatif
Envoyé par les éditions Zoe (que je remercie) dans le contexte « masse critique », double négatif le roman en grande partie autobiographique d'Ivan Vladislavic est une drôle de mixture. Trois parties: lumière ambiante, lettres volées et bavardage, nous donnent rendez-vous avec Neville Lester à vingt ans, à trente-cinq puis à cinquante. Neville habite Johannesburg et vit sa jeunesse avec l'apartheid. Cynique et dilettantes à un degré rarement égalé il cultive son indifférence avec une morgue légèrement dérangeante. Apartheid ou pas, ce n'est pas son problème et quand il quitte l'Afrique du Sud c'est comme pour l'université, par paresse, par nonchalance, pour ne pas avoir à faire d'études ou de service militaire. « A quoi cela sert-il d'avoir une licence si c'est pour être licencié… »

Son père organise une rencontre entre Neville jeune et le grand photographe Saül Auerbach. Avec lui et un journaliste Anglais, Neville se rendent dans deux maisons choisies au hasard par les adultes, et font les portraits des occupants : La maman de triplés dont un est mort en perspective d'une photo les réunissant vivants tous les quatre est un exemple plutôt glauque de ce que recherche Saül dans l'art photographique. La troisième maison, choisie par Neville, ne sera pas visitée, faute de lumière et Neville y reviendra quinze ans plus tard après un pseudo exil en Angleterre, seul cette fois, pour faire des photos puisqu'entre temps il est devenu photographe par défaut.
Dans cette maison habite une femme qui vit avec le souvenir d'un médecin mort et un paquet de lettres non distribuées.

Bavardage nous fait retrouver Neville quinze ans plus tard, alors que la technologie est devenue folle et que la photographie s'est un peu égarée dans le binaire. Il photographie des boites à lettre et glose sur les lettres non distribuées et finalement restées closes. Deux femmes s'intéressent à son parcours et cela débouche sur un article de journal.Tout s'effiloche.

Le moins qu'on puisse dire est que l'auteur fait vraiment tout pour rester inaccessible par tellement de désinvolture et d'absence de positionnement tant politique que sentimental. Disparu ou pas, Neville n'a rien à faire de l'apartheid. N'a rien à faire de personne. La misère quelle qu'en soit l'origine est une matière comme une autre pour produire de l'image, pire encore, cette misère n'a pas de sens, encore moins de valeur.

Ce qu'il semble vouloir nous dire, c'est qu'il est un étranger et que nous le sommes aussi. Que notre possible compassion pour les exclus de l'Afrique du Sud n'est qu'une tragique méprise, au même titre que les victimes du (ou des) nazisme, voire celles d'un Tsunami ou du conflit syrien.
On reste donc dubitatif sur la nécessité impérieuse qui aurait inspiré l'auteur pour rédiger ce livre, si les assujets (J'invente, il le faut bien!) lui sont aussi indifférents et si le travail de Saül Auerbach, finalement mis à mal par des considérations frisant l'obscène, n'était qu'une fantaisie d'artiste à la recherche d'un égotisme abouti.

Qu'est-ce qui fait alors que j'apprécie ce livre à ce point alangui , et perfide, et qui ne me choque pas plus que ça? L'incroyable détachement du jeune homme de l'adulte de 35 ou 50 ans qui ne donnent et ne se donnent jamais (« nos corps ne s'emboîtent pas parfaitement ») ?
Le professionnalisme de l'écrivain qui réussit à trouver un équilibre entre trois moments clefs (de non clef en fait) de sa vie?
L'impudeur. Voilà : l'impudeur qui fait regretter que le négatif soit double, un pour l'homme, un pour l'objet, et que le regard qui nécessairement fait un choix le fait pour des raisons inavouables : l'indifférence assumée à toute forme de tragédie humaine.
Le journalisme qui dit tout et tout le temps n'en est-il pas le pire exemple ?


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