AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Patsales


Cette biographie du réalisateur Sergio Cabrera par son ami Juan Gabriel Vasquez est qualifiée par son auteur d' « oeuvre de fiction », mais qui « ne contient aucun épisode imaginaire ». Ah bon. Vasquez justifie cette coquetterie en expliquant qu'il lui a fallu « modeler, concevoir, donner forme » à la gigantesque somme d'informations soutirée à Cabrera et à ses proches. Effectivement, le texte ne suit pas un ordre chronologique mais alterne souvenirs et retour à un quasi-présent (2016), la rétrospective organisée à Barcelone pour l'ensemble de son oeuvre offrant au réalisateur l'occasion de se replonger dans son passé au cours de réminiscences spontanées.
Or, le plus extraordinaire est que cette disposition relève à peine de la création. Vasquez rêvait d'utiliser la vie de son aîné (Faut dire, un type abandonné en Chine par ses parents pour devenir garde rouge, ça ne laisse pas indifférent…) ; il imagine une fiction où un réalisateur invité à l'étranger apprend la mort de son père : le projet est mis en pause et deux ans plus tard Cabrera apprend effectivement la mort de son père alors qu'il est en Espagne pour présenter une rétrospective de ses films…
Alors, va pour roman, puisque la vie de ce type explose les catégories habituelles et ne semble pas pouvoir s'insérer dans un cadre normal : emmené en Chine avec sa soeur par des parents avides de rencontrer l'homme nouveau, il grandira dans un hôtel désert dont il ne sortira que pour travailler dans une usine de réveille-matin ; à 20 ans, il rentre en Argentine pour exporter la révolution prolétarienne et devenir guérillero… puis repartira en Chine soigner ses désillusions.
Au-delà de ce destin follement romanesque, c'est évidemment l'incroyable cécité d'une génération biberonnée au Grand Soir qui interroge. On sait que Cabreras a été un membre actif de la guérilla mais le récit de Vasquez ne raconte aucun épisode qui témoigne du sang qu'il a versé. J'ai d'abord été choquée de cette pudeur incongrue avant de penser que c'était peut-être là la force du livre : faire le portrait d'un Cabrera tueur l'aurait éloigné de son lecteur alors que les illusions qui l'ont nourri sont aussi les nôtres, comme l'a notamment prouvé l'échec du référendum colombien en faveur de la paix. Depuis les justifications des parents Cabrera pour laisser leurs enfants aux bons soins de la révolution maoïste jusqu'aux fake news qui ont fait capoter l'accord de paix, le processus est le même : à chacun son aveuglement, à chacun sa raison pour rester droit dans ses bottes, sourd à toute objection. Et il est passionnant de se retrouver dans la tête d'un type dont les choix idéologiques nous stupéfient mais dont nous voyons bien qu'il n'est ni plus idiot ni moins rationnel que nous et qu'il est notre frère, sinon notre camarade.
Bref, que tous ceux qui croient que l'intime est l'autre nom de l'histoire et n'ont pas encore lu Vasquez s'y collent immédiatement. Il y a des cas où le culte de la personnalité n'est pas totalement déraisonnable.
Commenter  J’apprécie          3212



Ont apprécié cette critique (32)voir plus




{* *}