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Critique de Presence


En pleine possession de ses moyens
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Ce tome fait suite à Mage Book One: The Hero Discovered Volume 2 (épisodes 9 à 15) qu'il vaut mieux avoir lu avant, ainsi que le premier tome. Celui-ci regroupe les épisodes 0 à 8 de la deuxième partie de la trilogie, initialement parus en 1997/1998, écrits, dessinés et encrés par Matt Wagner, avec une mise en couleurs réalisée par Jeromy Cox.

Quelque part dans le grand Canyon, Kevin Matchstick est à la recherche de traces du monstre qu'il est venu pour occire. Il trouve un crâne. Alors qu'il l'examine, il a la surprise d'être interpellé. Il se retourne et découvre un jeune afro-américain avec un éclair à l'horizontale sur son teeshirt : Joe Phat. Il explique qu'il est venu pour la même raison que son interlocuteur. le monstre finit par se montrer et il s'en suit un affrontement mouvementé qui se termine par sa destruction totale. Quelque temps plus tard, Kevin & Joe arrivent dans une ville de moyenne importance avec leur voiture Ford, modèle Edsel. Ils en sortent et Joe se met humer l'air : une grimace apparaît vite sur son visage. Il y a un monstre puant dans les parages. Il perçoit également des fumets d'eau, d'acier et de pierre. Matchstick conclut à sa place : un troll sous un pont. Ils font un petit détour par une épicerie avant. Une vielle clocharde pousse son caddie devant elle sur un pont. Un crochet au bout d'une chaîne vient prendre le chariot et l'envoyer valdinguer. le troll est là et il s'attaque à la vieille dame : celle-ci semble disparaître dans un éclair bleu, laissant ses habits derrière elle.

Le troll regard bizarrement la robe et le postiche au bout de son crochet. Il relève la tête et découvre Kevin Matchstick et Joe Phat devant lui. Kevin sort sa batte de baseball luminescente et il se lance à l'attaque. le troll prend un coup dans la tronche mais parvient à s'éloigner en bondissant puis il repasse à l'attaque. Il est vite neutralisé par le duo de héros. Phat confirme à Kevin que la tanière du troll se trouve sous le tablier du pont. Il remonte le long de la chaîne, sans remarquer une créature en forme d'insecte sortir de l'orbite du crâne d'un des victimes. Ils se rendent ensuite à un distributeur ou Matchstick introduit sa carte magique et perçoit de l'argent, avec une prédiction : un troll gît maintenant encore fumant à cause des horribles blagues. Il ne faisait pas le poids face au tonnerre et à l'éclair. Faites maintenant attention aux dames, raptors fétides d'Hadès, mais avant amusez-vous bien avec l'argent. En réponse à la question de Joe, Kevin indique que cette carte bancaire magique lui a été remise par un vieux pote : Myrddin Auerelius Ambrosius, un puissant magicien. Quant aux prophéties, c'est lui qui les a implantées dans le système. Ils vont prendre une chambre dans un motel et s'arrêtent en route pour acheter une grande pizza : c'est Kevin qui paye bien sûr. Joe regarde un feuilleton à la télévision, et il demande à Kevin s'il a déjà rencontré d'autres guerriers comme eux. Quelques-uns répond-il.

À l'issue de la première partie de la trilogie de cette série, le lecteur avait l'impression de se retrouver le bec dans l'eau. L'auteur avait clairement annoncé les deux parties suivantes, leur donnant même un titre : après le héros découvert (paru en 1984-1986), allaient venir le héros défini, et le héros nié. Mais les années passent et rien ne vient, si ce n'est la faillite de son éditeur initial (Comico), des difficultés pour récupérer l'intégralité des droits de propriété intellectuelle. Enfin, onze ans plus tard, la deuxième partie pointe le bout de son nez chez Image Comics. le rythme de parution n'est pas tout à fait régulier, 16 numéros en 28 mois, mais l'auteur mène son projet à son terme. le lecteur est ravi de retrouver Kevin Matchstick, et, par la force des choses, de découvrir de nouveaux compagnons d'aventures. Comme il est de coutume à l'époque, la saison commence avec un numéro zéro de faible pagination (12 pages) et à prix attractif. le lecteur retrouve le ton de la première série : des bons (Matchstick et ses deux compagnons) contre des créatures surnaturelles malfaisantes qu'il faut occire, et un méchant qui tire les ficelles dans l'ombre. Il découvre que l'histoire se situe plusieurs années après la première partie. Il retrouve le caractère particulier de Matchstick : assez détendu, toujours avec une pointe d'incrédulité quant à son identité réelle, et du genre très sérieux quand il bosse, c'est-à-dire quand il pourfend des monstres. Il a gagné en assurance, acceptant de jouer le rôle du grand frère vis-à-vis de héros avec moins d'expérience, ou qui reconnaissent en lui une autorité légitime.

Le lecteur observe également que le trait Matt Wagner a évolué : des contours moins lissés, un usage plus naturel des exagérations comiques, une narration visuelle plus naturelle, moins amateur. L'artiste gère beaucoup mieux la densité d'informations dans ses cases, et avec des camaïeux simples à base de dégradé, Jeromy Cox parvient à habiller les cases et parfois les pages sans arrière-plan. Wagner fait montre d'une assurance étonnante en simplifiant les visages, parfois avec de simples points noirs pour les yeux, ou de gros traits pour les cheveux de Matchstick qui commencent à se clairsemer, des traits épais pour sa barbe, des personnages en ombre chinoise où il joue avec la taille des yeux, des expressions franchement comique (comme le regard que le douanier jette à la batte de baseball de Matchstick). S'il est familier du microcosme des auteurs de comics de l'époque, le lecteur se rend compte que le personnage principal ressemble à l'auteur, que Joe Phat ressemble à Joe Matt, Kirby Hero a des expressions de Bernie Mireault. Il sourit en découvrant Isis qui est le portrait craché de Diana Schutz, une éditrice emblématique de Dark Horse Comics, dont Wagner a épousé la soeur. Il rit de bon coeur en découvrant Dragonslayer : le portrait craché, jusqu'aux mimiques et l'arrivée en limousine, de Dave Sim le créateur et l'auteur de Cerebus.

L'histoire s'ouvre un prologue au cours duquel le héros (Matchstick) croise un autre héros (Joe Phat / Coyote) au cours de la traque qu'un monstre, et du combat qui s'en suit : une séquence d'aventure, des bons contre un méchant, un combat spectaculaire, une ou deux touches d'humour, et un beau paysage. Tout du long de ce tome, l'auteur reste sur ce dosage : des combats contre des monstres qu'il convient de faire cesser de nuire en les tuant, des héros valeureux un peu décontractés (pour Phat et Hero, moins pour Matchstick), quelques notes d'humour bon enfant, avec en particulier Wally Ut le clochard qui prétend être un mage, des monstres inventifs en connexion directe avec la mythologie, un ennemi mal intentionné qui tire les ficelles dans l'ombre, et une batte de baseball luminescente. Il est visible que l'artiste prend grand plaisir à raconter son histoire : les expressions de visage, quelques poses avantageuses des héros passant à l'action, des environnements de nature réalistes bien consistants quand ils sont représentés, et des protagonistes à la forte personnalité graphique, visiblement chers à l'auteur. Matt Wagner semble beaucoup plus à l'aise dans sa narration graphique par rapport à la première partie de la trilogie, avec des contours avec une apparence plus spontanée, un langage corporel plus naturel, une verve épatante pour faire ressortir le surnaturel dans le monde réel. le lecteur se souvient longtemps de l'air ahuri du troll contemplant le postiche, de l'illusion enregistrée par la caméra de surveillance quand Kevin retire de l'argent au distributeur automatique de billets, de l'assurance de Kirby Hero secouant un tonneau métallique rempli de caillasses au-dessus de sa tête, du lancer de batte, de l'autorité dont fait preuve Isis et de l'obéissance de Bartholomew Gretch, de Wally Ut sur son vélo, etc.

De fait, ces aventures procurent une lecture rapide, sympathique, divertissante, amusante, avec plusieurs moments de connivence entre l'auteur et le lecteur. Par exemple, quand le lecteur reconnaît la personne dont Wagner s'est inspiré pour un de ses personnages, ou, beaucoup plus accessible, un mythe, un conte où une légende qui l'a inspiré pour un monstre ou un pouvoir. Il est aussi gratifiant de retrouver un élément de la première partie, que ce soit la peur des hauteurs de Matchstick, ou son amour pour les Ford modèle Edsel. En outre, le titre annonce que le héros a atteint un certain degré de maturité, ses années de pleine possession de ses moyens, que ce soit dans le maniement de la batte de baseball enchantée, ou en temps que chef naturel, meneur d'hommes né. le lecteur voit l'exemple positif d'adulte qui prend ses responsabilités, qui devient même un modèle pour certains, à qui d'autres font confiance. Il comprend pourquoi l'auteur a préféré avoir lui-même atteint cette phase de l'existence pour pouvoir en parler sous cette forme. D'un autre côté, il reste cette opposition basique entre le bien et le mal, les ennemis qu'il convient de tuer : une façon de voir le monde comme une opposition entre le bien et le moral, avec une démarcation simple entre les deux. Pourtant, le fond du récit recèle des remarques pas si simplistes que ça. Pour commencer, Matchstick et ses amis ne sont pas les seuls chasseurs de monstres, et les autres voient cette activité plutôt comme une compétition à marquer des points pour leur gloire personnelle, chaque fois qu'ils en tuent un, que comme une action à mener dans un effort concerté et collectif. Ils ne savent pas prendre le recul nécessaire pour voir l'intérêt général. En y repensant, le lecteur se dit que le grand méchant derrière tout ça se livre effectivement à un acte impardonnable : il siphonne l'énergie magique de Matchstick quand il l'utilise. En ayant à l'esprit que ce personnage est pour partie un avatar de l'auteur, le lecteur se dit que cet acte de siphonnage s'apparente à une forme d'absorption de l'énergie créatrice du créateur, un individu qui profite de sa créativité comme un parasite.

Ça valait le coup d'attendre durant plusieurs années écoulées entre la première partie de cette trilogie (Discovered, Defined, Denied) et la deuxième : Matt Wagner est de retour en très grande forme, à la fois sur le plan graphique et dans son intrigue, direct et efficace, très facile d'accès, un plaisir de lecture immédiat. Progressivement, le lecteur prend conscience que cette lutte du bien contre le mal menée par des héros recèle d'autres niveaux de lecture, sur la notion de réalisation d'un individu, de développement de son importance dans son entourage, de modalités relationnelles avec autrui.
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