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Critique de Batuco


J'ai découvert Roland C. Wagner en parcourant la liste des récipiendaires du Grand Prix de l'Imaginaire. L'auteur a été primé deux fois : en 1999 pour Les Futurs Mystères de Paris et en 2012 pour Rêves de Gloire. Par ailleurs, son nom revenait régulièrement lorsque j'explorais le monde de la SF française. Il semble avoir joué un rôle central dans l'animation de cette communauté pendant plusieurs décennies. Alors quand je suis tombé sur son ultime roman dans les rayons de ma bibliothèque de quartier, je me suis dit qu'il était temps que je me penche sur l'oeuvre de cet auteur. Après avoir refermé le roman, je peux dire que j'ai fait la connaissance d'un grand et singulier auteur.

Cette chronique va être longue car le roman est atypique, riche, dense, à l'image de son auteur. C'est le roman d'une vie, l'oeuvre finale qui vient couronner la carrière d'un écrivain ayant atteint la maturité. Une oeuvre à la fois personnelle et universelle.

Rêves de Gloire est une uchronie qui décrit un monde où le Général de Gaulle a été assassiné en 1960 et où la guerre d'indépendance de l'Algérie a été (plus ou moins) remportée par la France qui a conservé plusieurs enclaves sur le territoire algérien. La ville d'Alger, initialement une enclave française, finit par prendre son indépendance et devient une cité-État autonome. Dans cette Alger alternative, un mouvement contre-culturel (appelé vautrien) va s'y développer autour de la musique, de l'anti-militarisme et de la drogue, à l'image du mouvement hippie aux États-Unis. Roland C. Wagner va nous mettre dans la peau d'une ribambelle de personnages à travers différentes époques (les années 60, les années 70 et les années 2000) pour dépeindre avec force détails et à hauteur d'hommes et de femmes cette histoire alternative qui est parfois plus heureuse et parfois moins heureuse que l'histoire telle que nous la connaissons.

Les thèmes abordés sont nombreux mais on pourrait les résumer au nombre de trois : la musique, la drogue et la non-violence, avec pour toile de fond la Guerre d'Algérie. En effet, la principale trame narrative est celle d'un collectionneur de disques vinyles, spécialiste du rock psychédélique (rock psychodélique chez Wagner) et de la musique algéroise des années 60-70, qui se met en quête d'un vinyle ultra-rare. Ce mystérieux vinyle semble porter en lui un secret car les personnes qui en possèdent un exemplaire ou qui parviennent à mettre la main dessus connaissent généralement une fin tragique. La drogue tient également une place centrale dans l'histoire sous le nom de gloire (le LSD). Ainsi, le titre Rêves de Gloire est un jeu de mot qui fait à la fois référence à la drogue et aux aspirations militaristes et virilistes de certains engagés français en Algérie. Enfin, la non-violence est au coeur de la philosophie vautrienne qui germe en réaction à la guerre en Algérie et à l'incorporation des jeunes hommes pour aller au front. L'anti-militarisme et la non-violence sont donc profondément ancrés dans le roman.

Ce roman apparaît comme très personnel. le collectionneur de vinyle est en quelque sorte l'incarnation de l'auteur et plusieurs éléments de la biographie de Roland C. Wagner se retrouve dans ce personnage. On peut citer par exemple son père, un ancien soldat allemand passé par la légion française, sa passion pour la musique et ses origines algériennes (il est né à Bab-El-Oued, un quartier historique d'Alger). Ce projet de roman trottait dans la tête de l'auteur depuis un moment et il tenait à rendre hommage à l'Algérie et proposer une vision de ce qu'elle aurait pu devenir. Il est heureux que l'auteur ait pu achever son oeuvre car son décès est survenu peu de temps après la publication de Rêves de Gloire. Cet aspect personnel du roman et le tragique accident qui a suivi lui donnent une saveur bien particulière, un mélange de douceur et d'amertume.

J'ai parlé du fond, passons à la forme. S'il est un roman qui mérite l'épithète de choral ou polyphonique, c'est bien Rêves de Gloire. L'auteur a fait le choix de donner la parole à un nombre invraisemblable de personnages. Certains sont récurrents et on finit par les identifier et connaître une partie de leur vie, tandis que d'autres n'apparaissent qu'une seule fois et ont pour but de nous faire part d'un événement (ou d'un aspect de l'événement) dont ils ont été témoins. Une autre particularité est que les narrateurs ne sont jamais nommés. Pour identifier la personne qui parle, on est obligé de se référer aux marqueurs spatio-temporels pour repérer le lieu et l'époque concernés, déterminer s'il s'agit d'un homme ou d'une femme et les personnes qu'il/elle fréquente. Les noms des personnes dans l'entourage du narrateur sont connus et peuvent aider à s'y retrouver. Mais pas toujours… Ce choix est à la fois une force et une faiblesse du roman. Cela permet d'avoir une très grande variété de points de vue et de bâtir ainsi une réalité alternative vivante et cohérente, mais c'est parfois fatigant de passer d'un personnage à un autre, de sauter d'une époque à une autre, on s'y perd et ça peut décourager.

Un autre aspect problématique du livre est sa longueur : le roman atteint les 700 pages. Ce n'est pas forcément un problème en soi mais lorsqu'il est combiné au problème précédemment, cela peut pousser le lecteur ou la lectrice à abandonner sa lecture, s'il ou elle n'a pas la motivation et la force mentale pour tenir jusqu'à la fin. Personnellement, j'ai failli arrêter la lecture à plusieurs reprises mais je tenais à aller jusqu'au bout (et je ne le regrette pas).

Une des choses qui m'a aidé à tenir, c'est la qualité de l'écriture de Roland C. Wagner. C'est là une grande force du roman : chaque paragraphe est prenant, chaque histoire est captivante, chaque personnage est immédiatement crédible. le roman est très agréable à lire et je me suis laissé porter par le récit alors même qu'il ne se passait parfois pas grand chose. Initialement, je n'étais pas très attiré par ce thème de la musique des années 60-70 et encore moins par les expériences délirantes provoquées par la consommation de psychotropes, ce n'est pas du tout mon truc. Et pourtant, cela ne m'a pas du tout posé problème au cours de la lecture. On se prend au jeu de ces groupes de musique imaginaires et les expériences liées à la drogue sont finalement assez terre-à-terre, presque « matérialistes ». L'auteur ne nous sert pas des tartines (ni même des petits toasts) de voyages psychédéliques complètement abscons. Au contraire, j'ai apprécié le message véhiculé par l'auteur à travers les révélations vécues par ses personnages lors de la prise de Gloire.

Il est temps de conclure cette chronique déjà bien trop longue. Quel est mon ressenti final ? Est-ce que je recommande ce roman ? Est-ce que j'aurais envie de le relire ? C'est l'heure du verdict.

Rêves de Gloire est une oeuvre très singulière, audacieuse et ambitieuse, assurément riche et profonde, d'une très grande qualité littéraire. C'est un roman écrit avec coeur et passion, on ressent l'amour de Roland C. Wagner pour la musique et l'Algérie, ses valeurs humanistes, et on partage son espoir de voir une société plus apaisée, plus solidaire et plus égalitaire advenir un jour. L'influence d'Albert Camus est évidente et sa pensée imprègne l'ensemble du roman. Pour moi, il s'agit d'un très grand roman qui souffre malheureusement d'un défaut, sa longueur. C'est le seul point négatif que j'aurais à souligner ici. Je ne peux pas le passer sous silence car il a été responsable à plusieurs reprises de la tentation d'abandonner le livre. Pour cette raison, je ne pense pas avoir envie de le relire un jour et le roman manque de peu le qualificatif de chef-d'oeuvre. Quant à le conseiller… je pense que les personnes qui s'intéressent à la SF française ne peuvent pas faire l'impasse sur un tel roman, tout en étant conscient qu'il faudra peut-être s'accrocher un peu pour le terminer.

Quoiqu'il en soit, ce seul roman fait de Roland C. Wagner un très grand auteur.
Lien : https://bibliobatuco.wordpre..
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