Pourquoi lire Albert Camus aujourd’hui ?
“Aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.” Rares sont les écoliers qui n’ont pas encore entendu cette phrase résonner dans leur salle de classe. Chantre de la liberté au style sec et cassant, Albert Camus, écrivain, philosophe, romancier et dramaturge français à l’origine de la philosophie de l’absurde, occupe une place importante sur la scène littéraire. Au coeur de nombreuses polémiques, l’intemporalité de ses propos n’est plus à prouver, enracinés tant dans la biographie de leur auteur que dans notre histoire contemporaine.
Né en Algérie, Albert Camus passe son enfance dans un quartier populaire dont il n’oubliera jamais la pauvreté. Entre un père mort à la guerre et une mère illettrée, le jeune Albert est confronté dès son plus jeune âge à l’absence et au silence, que son oeuvre adulte tentera en partie de combler. D’ailleurs, son roman L’envers et l’endroit constitue une peinture mi-symbolique de cette enfance difficile. Alors que sa famille proche n’est pas en mesure de pousser le jeune littéraire vers la réussite, Camus croise la route de deux hommes, sans qui son parcours n’aurait pu être celui qu’on lui connaît. Le premier, son oncle Gustave, franc-maçon et voltairien, offre à son neveu une éducation littéraire éclectique, développant l’attrait du garçon pour les livres. Plus tard, c’est Louis Germain, son instituteur, qui parie sur son succès futur en lui offrant des leçons gratuites, tout en insistant auprès de sa famille afin qu’il poursuive ses études. Cet homme dévoué ayant sensibilisé Camus à l’horreur de la guerre par l’intermédiaire de lectures de
Roland Dorgelès, sera d’ailleurs l’objet de son discours de remise de Prix Nobel.
A dix-sept ans, les premiers symptômes de la tuberculose se manifestent chez le jeune Camus qui prend dès lors conscience de sa condition mortelle et de l’injustice de la vie. Cette vérité révoltante, Camus y répond par un insatiable appétit de vivre qui ne le quittera jamais. S’il faut vivre, c’est maintenant, en croquant à pleines dents les possibilités offertes au jour le jour. Dès lors commencent à poindre les bourgeons de la philosophie de l’absurde qu’il développera au travers de ses écrits futurs. Bachelier en 1932, il débute des études de philosophie, avec l’ambition de témoigner de la condition humaine. En 1934, Camus épouse la starlette Simone Hié. Toxicomane et infidèle, elle met très vite fin à leur union. 1935 est l’année de son entrée au Parti Communiste Algérien, en lequel Camus trouve un écho positif à ses convictions personnelles. Très vite, il fonde et dirige sous l’égide du parti le “Théâtre du Travail” avant de se faire exclure des militants un an plus tard, accusé de ne pas suffisamment prôner l’engagement militant.
En 1940, Camus épouse Francine Faure avec qui il s’installe à Paris, et devient secrétaire de rédaction à
Paris-Soir. Bien qu’il quitte l’Algérie, les images lumineuses de son pays natal ne quitteront jamais l’écrivain, et transparaîtront dans plusieurs de ses écrits, comme le montre
L`Eté, en 1954. Alors éditeur chez Gallimard,
André Malrauxentre en correspondance avec Camus à propos de
L`Etranger qu’il aimerait voir publié. En 1942, grâce à la précieuse aide de Malraux, l’ouvrage paraît, la même année que le désormais célèbre
Le Mythe de Sisyphe. Piochant directement son inspiration dans ses expériences de vie, certains romans constituent un véritable tableau philosophique de la société à son époque. Par exemple, alors qu’il soignait sa tuberculose dans un petit village français, Camus y observe la résistance non-violente à l’holocauste, ce qui lui inspirera le roman
La peste.
En 1944, il fait la rencontre d’
André Gide et un peu plus tard celle de
Jean-Paul Sartre, avec qui il lie une profonde amitié. Ce dernier souhaite qu'il mette en scène sa pièce
Huis clos. Militant actif au sein des mouvements populaires antifascistes, Camus prône l’avènement d’une culture populaire et illustre son engagement par l’intermédiaire d’activités théâtrales. Déçu par son expérience au parti communiste, il développe peu à peu une méfiance grandissante envers les idéologies et craint la déviation révolutionnaire de la révolte, ce qu’il annonce clairement dans
L`Homme révolté en 1951, et rompt alors définitivement avec ses ambitions d’antan. Mais par delà le débat politique, l’auteur s’attire les foudres de ses camarades existentialistes, Sartre y compris, répondant à cette injure en accusant Camus de mener une révolte statique et de ne pas prendre parti assez fermement. Or, si Camus cherche à se détacher de l’idéologie, c’est pour pouvoir adapter son comportement en fonction des circonstances et ne pas rester cloisonné dans un marxisme l’empêchant de jouir de l’instant. La rupture entre les deux écrivains est ferme, mettant fin à des années d’intense collaboration. De moins en moins idéologique, il est vrai que le discours de Camus se tourne progressivement vers l’humain, jusqu’à ce qu’il appelle à la trêve civile à Alger, en 1956.
Le 4 janvier 1960, alors qu’il revient du Vaucluse, Albert Camus trouve la mort lors d’un accident de voiture sur la nationale 6, accompagné par son ami Michel Gallimard, qui perd également la vie.
Malmené hier et adulé aujourd’hui, Albert Camus incarne pour les citoyens en lutte, le combat pour une société plus juste. En marge des grands courants philosophiques, il est le témoin de son temps qui n’a cessé de lutter contre les idéologies et les abstractions. Finalement, le père de l’Etranger, n’est autre que l’une des plus grandes consciences morales du XXème siècle.
Le saviez-vous ?
• Il a dédié son discours de Prix Nobel à Louis Germain, son professeur à l’école communale d’Alger
• Camus se disait déçu qu’André Malraux, qu’il considère comme un maître, ne reçoive pas cette distinction, le prix Nobel, à sa place
• Au lycée, Camus se passionnait pour le football et occupait toujours la place du gardien de buts
• Il est le neuvième français à obtenir le prix Nobel de littérature
• L’accident qui lui vaut la vie emporte également Michel Gallimard, son ami et neveu de l’éditeur Gaston Gallimard
• Albert Camus et le poète
René Char ont vécu dans le même immeuble pendant plusieurs années. Les deux écrivains étaient liés par une grande amitié
• En 2009, le fils de l’auteur, Jean Camus, s’oppose à la proposition du président Nicolas Sarkozy de panthéoniser son père, pour éviter une récupération politique
Chronologie
7/11/1913 : Naissance d’Albert Camus à Mondovi en Algérie
1930 : Le jeune écrivain découvre qu’il est atteint de la tuberculose
1934 : Premier mariage de Camus avec Simone Hié, une starlette algéroise
1935 : Année de son adhésion au Parti Communiste Algérien
1936 : Diplômé en philosophie, Camus fonde le “Théâtre du Travail”
1938 : Camus devient journaliste au
Alger-Républicain, en charge des comptes rendus des procès politiques de son pays
1942 : Publication de
L`Etranger et du
Le Mythe de Sisyphe1944 : Parution de
Caligula et rencontre avec André Gide et Jean-Paul Sartre
1947 : Parution de
La peste1952 : Rupture intellectuelle avec Jean-Paul Sartre
1956 : Publication de
La Chute1957 : Camus reçoit le Prix Nobel
4/01/1960 : Victime d’un accident d’automobile, Albert Camus décède dans l’Yonne
Influence et héritiers
Camus ainsi que Sartre sont souvent considérés comme les héritiers directs d’André Gide et d’André Malraux. Ainsi, on admet par exemple que
Les Nourritures terrestres de Gide se retrouvent dans les
Noces de Camus. Poussé par ses pairs, Camus a en effet puisé son inspiration au sein de ses fréquentations du monde littéraire ; on connaît l’influence de l’existentialisme de Sartre sur sa philosophie. Son oeuvre est également fortement liée aux événements politiques ayant jalonné sa vie, entre l’Algérie et la France.
La principale force d’Albert Camus est d’être parvenu à transcender sa douleur existentielle pour la transformer en une philosophie aboutie : l’absurde. Bien qu’inspiré de l’existentialisme, Camus apporte sa vision personnelle à cette pensée. D’ailleurs, c’est sa recherche d’indépendance vis à vis de l’existentialisme qui causera sa séparation avec Jean-Paul Sartre et les marxistes. Victime d’un désarroi profond et étranger face à une existence qu’il ne comprend pas, Camus pose les bases qui permettront à cette littérature d’émerger, aux côtés de
Louis-Ferdinand Céline et de
Dino Buzzati. L’oeuvre de Camus est en effet sous-tendue par l’opposition entre deux forces, la recherche d’une raison d’être et l’absence de réponse du milieu dans lequel il vit, un monde absurde qu’il ne peut pas comprendre. N’acceptant pas les perspectives divines, l’homme absurde cherche à trouver des réponses qu’un homme est en mesure de comprendre et pas quelque chose qui le dépasse.
Le mythe de Sisyphe constitue un tableau relativement fidèle de cette philosophie à la recherche du “certain” où seul l’ici et le maintenant peuvent compter.
Eugène Ionesco et
Samuel Beckett incarnent encore aujourd’hui les figures de proue de cette littérature absurde, grandement héritée de l’oeuvre d’Albert Camus.
Ils ont dit d’Albert Camus...
Jean-Paul Sartre : “L'admirable conjonction d'une personne et d'une œuvre”
Michel Onfray : “Albert Camus est un libertaire irrécupérable”
Abd al Malik : “Il faut savoir que c’est Camus qui a fait que je me suis mis au rap”
Charles Pépin : “J’ai lu l’Etranger d’Albert Camus plus de 50 fois. Le fait qu’un roman court puisse être un chef-d’oeuvre a été un encouragement pour écrire”
Olivier Todd : “‘Camus est un écrivain dangereux”