AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Ce tome contient une histoire complète qui ne nécessite pas de connaissance préalable du personnage. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016, écrits, dessinés et encrés par Matt Wagner, avec une mise en couleurs réalisée par Brennan Wagner. Il se termine avec une histoire de 8 pages initialement parue dans l'épisode 100 de la série du Shadow, réalisée par la même équipe sous forme d'un texte de 2 ou 3 paragraphes par page, apposé sur une illustration en pleine page comprenant 2 ou 3 situations différentes.

Margo Lane se souvient des années où elle fut l'agent et la confidente du Shadow dans les années 1930, et en particulier d'une des affaires les plus mémorables : celle de l'impératrice Rouge (Red Empress). Cette affaire prend sa source dans les activités criminelles des tongs de Chinatown. L'Impératrice Rouge se montrait tout aussi insaisissable et mortelle que son prédécesseur Shiwan Khan. Afin de mener son enquête Shadow décide de remonter la piste jusqu'en Chine, en passant pas l'Indonésie, la Thaïlande et le Bengladesh, jusqu'à retrouver l'un des sages mandarins auprès desquels il avait étudié. Il le met mis en garde sur le fait que la cible réelle de l'Impératrice Rouge pourrait bien être le Shadow lui-même. Avec Margo Lane, il décide de revenir en paquebot. À bord de celui-ci, ils se font attaquer par 2 agresseurs qui en veulent au Shadow lui-même ce qui lui fait dire qu'ils connaissent son identité secrète, à savoir Lamont Cranston. Alors qu'ils sont de retour à New York, la presse fait ses gros titres sur l'enlèvement de la riche et jeune héritière Gloria Sullivan. Lamont Cranston s'arrange pour croiser l'inspecteur Joe Cardona, pour lui soutirer des informations.

Le soir même, Shadow rencontre son agent Clyde Burke qui lui remet une enveloppe avec les résultats de son enquête sur cette disparition. de retour dans son manoir, il indique à Margo Lane les résultats de l'enquête : Gloria Sullivan a été enlevée dans un nightclub où le tong Hip Sing donne souvent rendez-vous. La trace de ce tong le conduit jusqu'à un entrepôt où il se rend dans une voiture conduite par Moe Shrevnitz, en compagnie de Margo Lane. Il leur indique qu'il va pénétrer seul dans le bâtiment, en ayant conscience qu'il s'agit sûrement d'un piège tendu à son attention. Il leur demande de rester à l'extérieur, Shrevnitz prêt à partir, Lane, prête à s'occuper de la prisonnière. Effectivement à l'intérieur, plusieurs pièges l'attendent, et Gloria Sullivan se trouve ligotée dans une grande pièce servant à entreposer diverses marchandises.

C'est la troisième fois que Matt Wagner réalise une histoire du Shadow, après The Shadow: Year One (2013/2014) avec Wilfredo Torres et Grendel vs. The Shadow (2014). le lecteur sait déjà que Matt Wagner maîtrise bien les codes des pulps de cette époque, ainsi que les caractéristiques du personnage. le Shadow porte bien son feutre mou à large rebord, son écharpe rouge, sa pierre girasol montée sur une bague, ses 2 pistolets automatiques, et son rire maniaque. Il voit également passer plusieurs agents habituels du Shadow : Moe Shrevnitz, Clyde Burke, Harry Vincent, Burbank. L'auteur fait également apparaitre d'autres agents moins connus : Jericho Druke, Myra Reldon, Rupert Sayre. Chacun de ces agents dispose d'une apparence spécifique, ainsi que de quelques répliques, mais Matt Wagner ne s'attarde pas sur eux, et ils restent à l'état de personnages très secondaires, attestant de l'existence de l'organisation du Shadow, ainsi que de leur loyauté. Margo Lane a droit à plus d'égard, le lecteur ayant accès à quelques-unes des entrées de son journal. Comme les autres agents, elle ne lutte pas à arme égale avec le Shadow, mais reste à son service en fonction de ses moyens. Par contre, elle ne contente pas de jouer les potiches faire-valoir et participe à l'action. Malgré toutes ses bonnes intentions, Wagner ne peut pas s'empêcher de lui faire jouer le rôle de l'otage pendant quelques pages. D'un autre côté, le déroulement de cette séquence aurait été le même s'il s'était agi d'un agent masculin, et la scène participe de manière indispensable à l'intrigue.

En cohérence avec l'époque à laquelle se déroule l'histoire, Matt Wagner a choisi d'opposer le Shadow aux gangs d'asiatiques de New York, faisant écho à la survivance du péril jaune. Il va jusqu'à montrer que les asiatiques peuvent également se montrer coupable de racisme envers les afro-américains, comme le premier blanc venu à cette époque. D'un autre côté, il ne force pas le trait, se tient à l'écart de l'asiatique à la cruauté raffinée, ne faisant finalement qu'évoquer la réalité des quartiers ethniques, et la présence de criminels dans chacun d'eux. L'intrigue se focalise sur l'existence supposée d'une cheffe tirant les ficelles dans l'ombre, et s'étant lancée dans des manoeuvres complexes pour atteindre le Shadow. Ce dernier est fidèle à ses caractéristiques, à la fois par son apparence, à la fois par sa façon d'opérer. Il n'hésite pas à se servir de ses pistolets automatiques, y compris pour abattre ses opposants. Il a recours à 2 ou 3 reprises à sa capacité à manipuler les esprits, à les obscurcir. Là encore, Matt Wagner ne ressort pas toute la panoplie du personnage, se contentant des fondamentaux retranscrits au premier degré, sans ironie ou moquerie, jusqu'à sa célèbre phrase : la mauvaise herbe du crime porte des fruits amers.

Au début du récit, le lecteur se demande si l'intrigue est à prendre au premier degré, ou s'il doit se prêter au jeu de soupçonner un coup monté, de supputer que ce qui lui est montré a été volontairement biaisé pour masquer une révélation choc à venir, ou un retournement de situation classique. Même s'il conserve ce soupçon en arrière-pensée, il prend vite goût au récit au premier degré. Matt Wagner détoure les formes de manière descriptive, avec un trait un peu gras, et un peu régulier, apportant une consistance certaine, à la fois aux décors et aux personnages. le récit se déroulant dans les années 1930, l'horizon d'attente du lecteur comprend une forme de reconstitution historique. Elle est bien là : les modèles de voitures, les modèles d'avion, le paquebot du retour d'Asie, les façades d'immeuble et le pavage des rues, les décorations boisées de la riche demeure de Lamont Cranston, l'intérieur feutré du Club Cobalt, les souterrains suintants du nightclub Shanghai Café, et le décor orientalisant de pacotille du dernier lieu. le lecteur constate qu'il peut se projeter dans chaque lieu. Il se rend compte avec surprise qu'il éprouve la sensation de voir un endroit tout d'une scène durant, même quand Wagner ne dessine plus les arrière-plans, la mise en couleurs perpétrant l'ambiance avec naturel et élégance. L'évocation de l'époque passe également par les tenues vestimentaires, que ce soit les complets veston de ces messieurs, ou les robes de ces dames dont celles élégantes de Margo Lane, ou même son imperméable mastic lorsqu'elle est en mission avec Shadow.

Bien sûr Matt Wagner reprend l'apparence classique du Shadow et il soigne ses apparitions avec des postures classiques, s'inspirant des couvertures de ses romans, réalisées par Jim Steranko. le lecteur retrouve donc le Shadow de profil en train de tirer avec un automatique dans chaque main, des gros plans sur sa tête avec l'écharpe couvrant sa bouche jusqu'au nez, le Shadow s'élançant en avant en courant et son long manteau flottant au vent découvrant ses 2 étuis sous les aisselles, le Shadow levant ses 2 automatiques encore fumant, etc. Sur ce plan-là, l'artiste remplit son contrat : il donne des poses iconiques à son lecteur qui comptait bien dessus. Il réussit également à montrer le Shadow en action et en mouvement sans qu'il n'apparaisse ridicule, malgré sa tenue peu propice aux acrobaties. L'artiste représente les visages avec des traits de contour également un peu épais, un peu rugueux, et des expressions de visage un peu exagérée, avec la bouche souvent ouverte. le lecteur n'y voit pas une forme de caricature, mais plus un choix esthétique cohérent avec la nature du récit qui montre un individu qui règle ses problèmes à coup de balle dans ses adversaires, sans arrière-pensée de donner la mort. Mise à part la cage simpliste à la fin de l'épisode 1, les scènes d'action sont réussies : spectaculaires en respectant les matériaux et les technologies de l'époque.

Au fur et à mesure du récit, le lecteur se rend effectivement compte que l'intrigue est à prendre au premier degré, dans toute sa simplicité et sa linéarité, sans coup fourré narratif ou retournement de situation préparé longtemps à l'avance. Matt Wagner a choisi de se conformer à la narration droit au but et directe des romans de Walter Gibson, laissant le lecteur apprécier cette aventure pour ce qu'elle est. Cela ne l'empêche pas de tenir également la promesse implicite contenue dans le titre, c'est-à-dire de donner un beau rôle à Margo Lane. Il nourrit donc la relation existant entre elle et le Shadow, à la fois par le biais du journal intime de Margo qui donne son point de vue, à la fois par la modification du comportement du Shadow après sa disparition. Il trouve un juste milieu entre l'admiration que les agents du Shadow lui portent (Margo Lane comme les autres), et ce que la personnalité de Margo Lane apporte au Shadow. Il sait rendre plausible cette relation avec ce qu'elle comporte d'amour platonique, ou tout du moins d'amitié ambigüe.

Cette troisième histoire du Shadow écrite (et ici dessinée) par Matt Wagner tient ses promesses : une aventure directe et simple, le Shadow mystérieux et impitoyable, les agents aidant le Shadow, un ennemi exotique et cruel sans verser dans le ridicule, des dessins nourrissant une reconstitution historique, et des moments spectaculaires faisant honneur à ce vigilant.
Commenter  J’apprécie          160



Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Ont apprécié cette critique (16)voir plus




{* *}