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Critique de EvlyneLeraut


S'égarer loin de soi-même, les dentelles d'une île meurtrie, ses enfants perdus, sable mouvant. L'endurance perd sa boussole, le ciel efface la craie des chemins, ils sont ici :
« Leurs silhouettes, tels des fantômes, marchent sur la route poussiéreuse et caillouteuse. »
Île qui n'enfante que douleurs et plaies, le vent foudroie l'appel des survivances. « le ciel sans boussole » est un cri dans la nuit noire. Un livre majestueux, manichéen. Dualité écartelée au fronton des volontés. Jackson et Rodrigue, table de jeu accrochée aux espérances. Gagner de l'argent, déambulation perdue d'avance.
«Le temps sur le ruban noir de l'asphalte et sur les chaises en formica. » « Au fond de la salle un homme gesticule, crie, raconte des histoires anciennes, le temps des bordels, le temps où l'on faisait la guerre aux Camoquins. »
Rodrigue est malade. Trop pauvre pour être soigné. Attendre l'ultime, porte d'entrée à l'hôpital, l'agonie lui jette des cailloux à la figure. Rodrigue l'ami,
« Ses yeux se ferment graduellement comme un soleil qui s'éteint. »
Jackson est perdu dans la nuit noire. Haïti ravagée, les habitants baissent les yeux, armes contre fleurs, pain contre quête de l'or. Watson Charles écrit avec force et courage, loyauté, la poésie sensible, le plein d'un livre dont Haïti, son peuple est mémoire vive. On ressent l'épars assemblé, rien ne doit rester invisible, Haïti est une couverture de laine déchiquetée. Jackson qu'on aime de toutes nos forces, plus de maison, plus de port. L'hospitalité a perdu sa pierre angulaire. Les injustices pour sac à dos, loterie gagnée, espoir, la banque le rejette comme un chien : corruption.
« -Écoute-moi bien vermine, je ne vais pas te garder dans ce trou à rats. Je préfère que tu crèves dehors. »
Échec et mat, case prison, liberté, perdition, la boussole s'affole. Il quitte la ville. Revoir sa soeur Léane. Imaginer les accolades, la fraternité qui pardonne tout. On ressent la quintessence des vraies valeurs. Oublier l'avant, recueillir Jackson, sans attente de retour. La magnanimité borde ses enfants. Jackson voit le ciel, le cerf-volant qui l'attire comme un aimant : Rosamène.
« Il n'arrive pas à dormir, c'est parce que son image angélique vient hanter ses nuits. »
Et là les amis, le céleste passionnel ravive la boussole et la toile de fond, plein-sud et phare en bord d'île.Le travail de Jackson est pénible, titanesque. Rocher de Sisyphe, mains écorchées vives, et air vicié. Retenir ses frères des batailles qui brisent les carreaux.
« Il lui explique que ses camarades ont l'intention de faire la grève et qu'il prépare tout cela avec eux. »
Jackson va affronter les diktats, pot de fer contre pot de terre, abattre les cartes envers et contre tout. Rosemène se doute, prend peur. Jackson est l'emblème des opprimés. le Gavroche d'une île en proie aux viols, aux vols, aux pillages. Lui, le battant, broyé par ses années de labeur à l'usine, corps qui flanche comme un roseau. le ciel sans boussole tremble, prend froid malgré la chaleur intense. Bouleversant, les larmes sont l'hymne de la beauté de ce grand livre. L'idiosyncrasie d'un peuple qui a tout perdu. Un homme pourtant, ici, dans le profond d'une histoire de haute contemporanéité, ne met jamais le genou à terre : Jackson, notre frère universel. Magistral, piédestal d'une littérature signifiante. Les chapelles d'une trame qui retourne la terre, messagère et mémorielle, un flambeau dans le sombre des doutes, un soldat qui déserte les mouvances. Une boussole pour demain. Collection Lachésis, publié par les Éditions Moires.

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