Désormais promus au statut envié d'électrons libres d'un monde aseptisé, vous pourrez inventer des trajectoires inouïes, délivrées de tout ancrage social et régional. Ces nouveaux Rastignac pourront même 'monter à Paris' avec leurs semelles de vent, ou... rester en zone méridionale et faire fructifier leur effort de neutralité, monnayable en bénéfices divers : crédibilité assurée, respectabilité accrue, accession facilitée à divers cercles branchés.
Curieux bluff en effet que cette obsession d'être-pour-autrui qui pousse à singer les modes langagiers des dominants, avec, à l'horizon, l'espoir d'en être alors qu'on risque fort de n'occuper que le strapontin du prétendant crispé dont le zèle linguistique intempestif est repéré tant par ceux qu'il trahit que par ceux dont il jalouse l'aisance "naturelle" !
Nous rencontrons des théâtreux combattant frontalement cet accent qui, ils n'en doutent pas, ruinerait toute réussite professionnelle - jouer Phèdre avé l'assent ? impensable !
C'est donc vraiment chouette la vie à Marseille, même sans accent, c'est vrai qu'il faut arriver à vendre coûte que coûte cette série à l'étranger et que la tâche est difficile car, malgré tous les efforts de la production pour nettoyer cette tranche de vie phocéenne de tout élément trop réaliste ou trop marqué culturellement, le feuilleton n'atteint pas encore au caractère lisse et 'international' requis pour l'exportation - le dernier marché international de Budapest laisse cependant augurer une ouverture : les Islandais pourront goûter bientôt aux délices et aux turbulences de la vie dans 'une grande ville du Sud', comme le précise l'argumentaire de vente, le tout avec la musique originale des voix - lissée de toute aspérité - mais nos amis du grand nord n'y verront que du feu puisque ce peuple audacieux aime les sous-titrages...
Quelques radios locales laissent entendre des voix ensoleillées qui promeuvent, au hasard, sardinades, pégoulades et autres concours de boules très géographiquement circonscrits. Pour le reste c'est... silence radio, l'accent est interdit d'antenne. (...) La page sportive reste le seul espace offert, quasi quotidiennement, aux débordements méridionaux, tant sonores que syntaxiques. Entraîneurs et jours de l'OM, Rugbymen du Sud-Ouest, forçats cyclistes, tous apportent cette note de virilité saine et primitive qui ensoleille nos matins chagrins...
Tout se passe comme si réflexion et accent était antinomique, comme si la pensée devait se déprendre des stigmates de l'accent pour être audible, recevable.