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Critique de YvesParis


Harald Welzer et son équipe de sociologues de l'université de Hanovre étudient depuis vingt ans la transmission de la conscience historique en Allemagne. À l'occasion de la publication de "Soldats", un décryptage des récits des soldats allemands durant leur captivité, Gallimard propose la traduction d'une étude rédigée au tournant du siècle sur la transmission du souvenir du nazisme et de la Shoah dans les familles allemandes.
À partir de 182 entretiens, collectifs puis individuels, réalisés auprès de 40 familles plurigénérationnelles, en Allemagne de l'Ouest comme en Allemagne de l'Est, les auteurs tirent deux enseignements.
Le premier est surprenant. La génération des témoins ne montre pas de réticence à se remémorer son histoire. Ce résultat contredit le mythe cultivé par la génération des enfants, qui, dans les années 1960 ou 1970, ont reproché à leurs parents de s'être cloîtrés dans un silence hypocrite. Ce résultat doit toutefois être relativisé. Il tient, d'une part, à la constitution de l'échantillon des enquêteurs qui, par construction, n'inclut que des familles disposées à discuter collectivement de leur passé. Il tient, d'autre part, à l'époque à laquelle ces entretiens ont été réalisés : au crépuscule de leurs vies, les témoins montrent peut-être moins de réticences à narrer un passé qu'ils imaginent, à tort ou à raison, frappé de prescription.
Le second est choquant. Que les témoins édulcorent leurs souvenirs est de bonne guerre. Ils prennent la posture de victimes : victimes du régime policier nazi, du service militaire, de la dureté des combats, des bombardements alliés, des camps de captivité, des exactions des Russes, etc. Il est plus choquant en revanche que leurs enfants et plus encore leurs petits-enfants ne remettent pas en cause ces témoignages. Pour eux « grand-père n'était pas un nazi ». Pourtant, la génération des grands-parents évoque parfois, fût-ce à mots couverts, des arrestations, des exécutions, auxquelles ils ont assisté sinon collaboré. Ces récits-là ne sont pas « entendus » par leurs descendants qui, au contraire, érigent en faits de résistance des actes anodins pour reconstruire l'image idéale d'un aïeul courageux voire héroïque. Par exemple, un petit-fils raconte que son grand-père a retourné son arme contre son commandant lorsque l'ordre lui a été donné d'exécuter des prisonniers, alors que son grand-père n'avait rien fait de tel. Autre exemple : une petite-fille affirme que sa grand-mère avait « aidé des Juifs durant la guerre », alors que la grand-mère s'était simplement abstenue de dénoncer des voisins.
Un hiatus infranchissable existe entre la mémoire collective, transmise par la culture publique du souvenir, qui ressasse à l'envi l'inhumanité du régime nazi et l'horreur absolue de la Shoah, et la mémoire familiale qui refuse de voir dans un débonnaire grand-père le complice de ces crimes. Cette dimension émotionnelle de la conscience historique révèle les limites de l'éducation scolaire. À l'école, à la télévision, dans tout l'espace public, la génération des enfants et des petits-enfants a été élevée dans le souvenir permanent des horreurs du nazisme. La réprobation du Troisième Reich est quasi-unanime dans la société allemande. Pour autant, elle coexiste paradoxalement avec un « album » familial romantique et enjolivé dans lequel le passé des aïeuls demeure irréprochable.
Il serait intéressant d'effectuer la même enquête en France. On aboutirait sans doute au même résultat désespérant, amplifié par le mythe résistancialiste véhiculé par le gaullisme : pour la génération des enfants et des petits-enfants, leurs grands-parents furent de courageux résistants ou, au pire, d'impuissantes victimes de l'Occupation, mais certainement pas d'odieux collaborationnistes.
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