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Critique de afleurdemots


Si je suis une habituée (et généralement adepte) des récits foisonnant de personnages se déclinant sous forme de grande saga familiale, je dois pourtant avouer que le début de ma lecture du roman de Leticia Wierzchowski a été pour le moins fastidieux. Dès les premières pages et en l'espace de quelques paragraphes, l'auteure nous dresse en effet tout l'arbre généalogique de la famille de Bento Gonçalves, et retenir les liens unissant chacun d'entre-eux nécessite un effort de concentration considérable. Il m'a donc fallu m'armer de beaucoup de patience pour parvenir à distinguer tous ces personnages qui, (pour ne rien arranger) portent des noms souvent homonymes.

Conséquence inévitable de cette entrée en matière laborieuse, j'ai pendant longtemps eu l'impression de rester extérieure à cette lecture, me sentant souvent indifférente aux évènements qui se déroulaient devant moi. Il faut dire que si le récit fourmille de personnages, il manque en revanche cruellement d'action et de rebondissements susceptibles de nous tenir en haleine. Les journées à l'estancia de la Barra se succèdent, chacune identique à la précédente et avec un même leitmotiv : l'attente. Seul élément venant rompre cette monotonie: l'arrivée d'un messager surgissant épisodiquement afin de donner des nouvelles du front : dans le meilleur des cas, il s'agit de l'annonce d'une bataille remportée par les révolutionnaires, ou bien d'une ville nouvellement conquise, mais aussi plus cruellement parfois, celle d'un fils grièvement blessé ou d'un mari mort au combat. Il faut en fin de compte attendre 200 pages et l'arrivée d'un groupe de soldats dans la région pour débloquer le récit et lui donner un peu de souffle, grâce notamment à l'entrée en scène d'un certain Garibaldi dont la présence va bousculer la vie d'une des jeunes filles de la résidence. En parallèle, l'éclosion progressive d'autres romances permet d'ajouter un semblant de rythme à une intrigue qui en manque (hélas) désespérément.

En dépit des apparences, la galerie de personnages de « la maison des sept femmes » est pourtant aussi fournie que prometteuse. Si à première vue, ils peuvent sembler insipides tant on peine à les différencier, les habitants de l'estancia ne manquent pas de caractère. Au fil du récit, certains d'entre-eux se dévoilent peu à peu, affirmant leur personnalité à mesure qu'ils doivent affronter les évènement et que le poids sans cesse croissant de l'attente devient de plus en plus difficile à supporter. Les choix que chacun des personnages est amené à faire ainsi que la moindre décision prise sont dès lors autant d'indices révélateurs des traits de leurs personnalités respectives. Parmi les protagonistes qui parviennent ainsi à se distinguer, on trouve Dona Antonia, la matriarche du groupe, veuve et sans enfant qui veille sur les habitants et fait tourner toute la maisonnée. Elle est le pilier sur lequel se repose la famille en l'absence des hommes du foyer. Autre personnage important, la belle Manuela, dont les extraits de journaux intimes parsèment le récit. Promise à son cousin, Joaquim, (qui est aussi le fils de Bento Gonçalves), ses projets vont néanmoins être bouleversés par la guerre et l'arrivée du sauvage Garibaldi a l'estancia. Citons enfin Rosario, la soeur de Manuela, qui apparaît rapidement comme une jeune fille rêveuse, un brin superficielle, qui ne rêve que de voyages, de mode et ne voit dans la guerre que des obstacles à sa vie idéale. Cette dernière sera au coeur d'une intrigue ambiguë, flirtant avec le surnaturel.

Autant de portraits de femme croqués avec finesse mais qui ne parviennent malheureusement pas à faire oublier les longueurs répétées et le manque de rebondissements de l'intrigue. Et ce n'est selon moi pas là le seul défaut de ce roman…

En effet, outre un manque de rythme certain, j'ai également quelque réserves sur la forme. D'après moi, les extraits de journaux de Manuela intercalés tout au long du récit ne présentent pas un quelconque intérêt. Au contraire, certains d'entre-eux datés de plusieurs années après la fin de la guerre, nuisent même à l'intrigue (déjà peu « palpitante ») en en dévoilant des éléments clés, gâchant ainsi tout éventuel effet de surprise.

De même, je n'ai pas été convaincue par la présentation du contexte historique dans lequel s'inscrit le récit. Peu familière avec l'histoire du Brésil, je regrette que l'auteure ne se soit pas davantage attardée sur la genèse du conflit, se contentant de la résumer sommairement en une ou deux pages au tout début de l'ouvrage. Ce manque de détails relatifs au contexte historique dans lequel s'inscrit « la maison des sept femmes » m'a empêchée de pleinement entrer dans l'histoire, me laissant en proie à de multiples interrogations.

Pourtant, rétrospectivement, j'en conviens, l'intérêt de ce livre ne réside pas (à mon avis) dans l'aspect politico-historique du conflit. Bien que la guerre soit le fondement de l'histoire, son origine importe finalement peu au vu des desseins que semblaient nourrir l'auteure. En effet, les enjeux sous-jacents de « La maison des sept femmes » portent davantage sur la volonté de mettre en exergue la manière dont est vécu le conflit et ses répercussions loin du front et des champs de bataille. A travers la vie à l'estancia, Leticia Wierzchowski nous offre ainsi un regard différent sur ce pan de l'histoire, celui de femmes, aussi bien mères, filles et soeurs qui n'aspirent qu'à voir la guerre se terminer et à retrouver l'être qui leur est cher sain et sauf.

Et de ce point de vue, l'auteure est parfaitement parvenue à nous faire sentir le poids de l'attente et des années qui passent. Car à mesure que le combat s'éternise, les femmes de l'estancia voient, impuissantes, les années s'enfuir sous leurs yeux. Rongées par une angoisse et une attente qui n'en finit pas, elles doivent elles aussi lutter avec acharnement pour continuer à vivre coûte que coûte et ne céder ni au désespoir ni à la folie. Et même après la mort d'un mari, c'est avec un courage forçant l'admiration qu'elles continuent à élever seules leurs enfants (enfants qui finissent d'ailleurs souvent par partir à leur tour au combat), ou à prier pour leur fils resté sur les champs de bataille. Quant à celles qui ont la chance d'avoir encore leur époux, elles ne le voient (au mieux) qu'une fois ou deux dans l'année, et lorsqu'il revient le temps d'une permission, c'est tout juste si ses plus jeunes enfants le reconnaissent encore. le reste du temps, toutes ces femmes vivent dans la peur perpétuelle de recevoir un télégramme, un message leur annonçant la mort d'un mari, d'un fils, d'un père ou d'un frère.

Une épreuve interminable pour ces femmes qui gèrent en conséquence la fatalité avec les armes dont chacune dispose. Il y a d'abord celles, comme Mariana, qui refusent de voir leur vie brisée par la guerre et essaient de vivre malgré tout. D'autres, telle Manuela, laisse une partie d'elle-même dans le combat et en garderont à jamais les blessures. Enfin, il y a aussi celles, comme Rosario, qui n'ayant pas la force de lutter, se perdent dans leurs rêves et dans la folie.

Si je dois avouer qu'il n'y a pas vraiment un personnage dont le destin m'ait particulièrement touchée, et qu'aucune romance ne m'a véritablement faite vibrée, j'ai en revanche été charmée par la plume de l'auteure. Leticia Wierzchowski a ainsi su trouver les mots et le ton juste pour dépeindre les états d'âmes de toutes ces femmes avec authenticité et sincérité. « La maison des sept femmes » demeure en dépit de certains défauts un livre remarquablement bien écrit, certes très contemplatif (mais peut-on réellement faire ce reproche à un livre dont le thème principal est l'attente ?) mais qui ne m'aura tout de même pas laissée totalement insensible.

Finalement, c'est avec un goût amer que l'on referme ce livre. le sentiment d'un incroyable gâchis, de vies brisées et de destins ravagés par la guerre, mais aussi celui d'une lecture qui à défaut de rebondissements ou d'histoire d'amour palpitante, laissera tout de même sa trace…
Lien : http://afleurdemots.nhost.me..
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