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Critique de YvesParis


L'ouvrage de Catherine Wihtol de Wenden est militant et ne s'en cache pas. Il se lit comme un plaidoyer vibrant en faveur, sinon d'une ouverture absolue des frontières, du moins d'un assouplissement significatif de la politique d'immigration menée, en France, par la droite comme par la gauche, depuis 1974.

Alors que l'Europe de Schengen dissout les frontières intra-européennes mais renforce les frontières extra-communautaires, alors que le consensus se consolide dans la classe politique autour d'une impossible « immigration zéro », l'auteur, spécialiste du phénomène migratoire, ose quelques questions iconoclastes. Dans un monde où circulent librement les capitaux, les biens, l'information, pourquoi les hommes ne circulent-ils pas librement ? le Nord, avec sa croissance restaurée, mais sa démographie toujours atone, n'aura-t-il pas à nouveau besoin de main d'oeuvre à l'horizon 2020-2030 ? L'ouverture des frontières aurait-elle des effets aussi déstabilisateurs qu'on se plaît à les dépeindre ?

À l'appui de sa thèse, l'auteur s'emploie d'abord à montrer les défauts d'une politique de fermeture des frontières. Cette politique, nous dit-elle, est inefficace. La pression migratoire est si forte, les moyens de contrôle, quelle que soit la volonté politique, si faibles, que rien ne peut entraver l'entrée, même illégale, des étrangers qui le souhaitent sur le territoire national. Chaque année, par la voie du regroupement familial ou à travers la reconnaissance du statut de réfugié politique (lequel constitue comme une « voie de rattrapage » pour tous les miséreux de la planète), des dizaines de milliers d'étrangers utilisent des « portes de services » pour contourner l'entrée principale close (pour reprendre la métaphore d'Aristide Zolberg : The Main Gate and the Back Door). Dans ces conditions, la politique officiellement proclamée de fermeture des frontières depuis 1974 doit être réduite à ce qu'elle est vraiment : une politique essentiellement déclaratoire.

La fermeture des frontières ne diminue pas l'immigration. Au contraire, elle la vicie, en produisant son lot de clandestins. La thèse de Catherine Wihtol de Wenden confine ici à la lapalissade : si les frontières étaient ouvertes, nous dit-elle, il n'y aurait plus de clandestins ! C'est rappeler que la frontière est une source de profits pour ceux qui s'en jouent. Qu'une frontière est toujours contournée, violée, instrumentalisée. Qu'aucune frontière n'est réellement étanche et aujourd'hui, à l'ère de la mondialisation, encore moins qu'hier.

De façon provocatrice, l'auteur souligne que la frontière, qui n'empêche guère l'entrée, bloque parfois la sortie : nombreux sont les immigrés qui préféreraient pratiquer des allers-et-retours et, à terme, repartir chez eux, mais qui restent en France par crainte de perdre leurs droits.

Pour limiter l'immigration, il a pu sembler pertinent de fixer les candidats au départ dans leur pays d'origine en encourageant le co-développement. C'est le sens, au niveau communautaire, des mécanismes de Lomé avec les pays ACP et de Barcelone avec les pays du bassin méditerranéen. En France, le co-développement a connu son heure de gloire en 1998 avec la création d'une mission interministérielle confiée à Sami Naïr. Catherine Wihtol de Wenden dénonce les illusions de cette politique : « ce n'est pas en diminuant la propension au départ dans les régions d'origine », écrit-elle, « que l'on agira sur les flux migratoires de façon significative » (p. 23). Les études de l'OCDE démontrent en effet que le développement d'une région conduit, au moins à court terme, à une augmentation de l'émigration. Ce constat paradoxal peut se comprendre : le « décollage » d'une économie suscite des aspirations, tant culturelles qu'économiques, peu susceptibles d'être satisfaites dans le pays. C'est seulement à long terme que le développement freinera l'émigration : c'est ce qu'ont connu l'Italie et la péninsule ibérique, et plus près de nous, le Maroc et la Tunisie dont le taux d'émigration se stabilise pour le premier et se réduit pour le second.

Si la fermeture des frontières se réduit au symbole, si elle ne freine pas les mouvements migratoires, parfois même les vicie, si le co-développement ne portera ses fruits qu'à long terme, Catherine Wihtol de Wenden en vient logiquement, au terme de sa démonstration, à plaider en faveur d'une ouverture raisonnée. Une telle ouverture entraînerait ipso facto la résorption des clandestins, et la fin d'une politique policière à la fois inefficace et attentatoire aux droits de l'homme. Elle ne devrait pas conduire à un afflux massif : l'invasion des pays de l'Est, fantasme récurrent au lendemain de la chute du mur de Berlin, n'a pas eu lieu malgré les facilités de circulation en Europe. Elle n'entraînerait pas de déséquilibre sur le marché du travail, les immigrés occupant souvent des postes que la main d'oeuvre nationale refuse. Elle serait enfin porteuse d'une meilleure intégration ; car – et c'est la conclusion de l'ouvrage – le XXIe siècle n'appelle aucun repli identitaire frileux, mais bien un dépassement de l'ordre westphalien et un métissage des cultures.
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