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Critique de Presence


Ce tome fait suite à L'appel (épisodes 6 à 10) qu'il faut avoir lu avant. Pour comprendre les enjeux du récit et les relations entre les personnages, il faut avoir commencé par le premier tome le Retour (épisodes 1 à 5). Il comprend les épisodes 11 à 15, initialement parus en 2015/2016, écrits par Joshua Williamson, dessinés et encrés par Andrei Bressan, avec une mise en couleurs réalisée par Adriano Lucas.

Les 2 frères Brennan et Michael (Mikey) Rhodes sont toujours en fuite, campant pour éviter de se faire repérer. Brennan interroge son frère sur ce qui lui est vraiment arrivé après avoir été enlevé sur Terrenos. Mikey lui raconte la suite de ses années de formation sous la responsabilité de Rook. Il évoque en particulier son arrivée dans un village où Rook lui remit une hache de combat, et un couple de villageois le supplièrent d'aller délivrer leur fille qui venait d'être enlevée par Kallista, pour le compte de God King Lore. Cette situation met en évidence la responsabilité qui pèse sur les épaules de Mikey qui est considéré comme le sauveur de la planète et qui ne doit pas compromettre ses chances de réussite en allant sauver une unique personne.

Après ce récit, Mikey et Brennan reprennent la route pour aller jusqu'à Chicago afin de trouver un nouveau mage Sameal y ayant trouvé refuge après avoir fui de Terrenos. Aaron Rhodes (le père) reçoit la visite de l'agent Kylen qui le sort de force de sa cellule de prison. Wendy Rhodes (la mère) voyage toujours en compagnie de Rya (toujours enceinte) et vont trouver Mastema, une autre mage. Enfin Rook et consorts ne restent pas inactifs.

En attaquant ce troisième tome, le lecteur éprouve un petit moment d'appréhension. Joshua Williamson a prouvé qu'il est un scénariste inventif, avec des premiers épisodes forts, comme dans ses séries Ghosted ou Nailbiter. Mais il a aussi montré qu'il y a parfois des coups de mou dans ses scénarios, pas toujours capables de retenir l'attention du lecteur sur le long cours. le lecteur éprouve parfois l'impression que le scénariste a pensé à l'avance les différents rebondissements et la trame générale de son récit (ici : retrouver les différents mages un par un, tout en intercalant les révélations sur le passé de Mikey sur Terrenos), mais qu'il le fait de manière mécanique, perdant un peu le caractère des personnages en cours de route.

Le lecteur se trouve réconforté par l'excellente prestation des artistes. Comme dans le tome précédent, Adriano Lucas continue un travail de metteur en couleurs de talent. Depuis l'avènement de l'infographie, le rôle des coloristes a pris de l'envergure, prenant de l'importance dans la partie graphique, jusqu'à définir l'apparence immédiate des pages, avant même que le lecteur ne lise les dessins. En effet, Lucas sculpte les surfaces, leur donnant plus de volume. Il joue sur les nuances pour rendre compte de l'éclairage, mais aussi des ombres portées. Il conçoit pour partie l'apparence des monstres. Par exemple il utilise des couleurs proches de la chair pour les manifestations du Nevermind, évoquant une texture à mi-chemin entre la chair à vif et la chair brûlée. Son apport est vraiment déterminant, que ce soit pour les surfaces naturelles (texture de terre par exemple), pour les visages (relief de la peau sur les os de la tête), l'ambiance générale d'un lieu, pour montrer les énergies déchainées lors des affrontements, pour donner de la consistance aux phénomènes magiques (l'incroyable double page où se manifestent les spectres à la fin de l'épisode 15).

En tant que maîtres à bord de leur série, les auteurs peuvent aménager le rythme de parution pour conserver un niveau de qualité élevé, en particulier en ce qui concerne l'aspect graphique. Ainsi aucun épisode de la série Birthright n'était pas paru en mars 2015 entre les 2 premiers tomes, et elle avait connu une interruption en septembre et octobre 2015, entre les tomes 2 et 3. L'effet bénéfique de ces pauses se constate sur chaque planche, car il n'y a pas de baisse de qualité des dessins d'épisode en épisode. Dès le premier tome, les dessins avaient apporté une grande consistance aux personnages et aux environnements, plaçant cette série au-dessus de la production mensuelle de comics. Mikey est toujours aussi massif, avec des rémanences de la corpulence de Conan. Les autres êtres humains disposent de morphologies pour normales. Les créatures surnaturelles sont montrées dans le détail, avec une volonté de précision pour que le niveau descriptif soit à l'égal des scènes sur la Terre normale.

De séquence en séquence, le lecteur apprécie la qualité de la narration graphique. Il n'éprouve jamais l'impression que les personnages restent statiques pendant les discussions, car l'artiste vieille à varier les angles de vue, à montrer ce qu'ils font, leurs gestes, l'endroit où ils se trouvent. Les expressions des visages ne sont pas particulièrement nuancées, mais ce manque de finesse est compensé par le langage corporel, mesuré et expressif. Andrei Bressan investit également du temps dans la conception et la réalisation des décors. Il reste dans un domaine réaliste pour les décors normaux, en prenant soin d'inclure des caractéristiques qui les rendent unique. Par exemple quand Brennan se trouve sur le plateau du pick-up, le lecteur peut voir le relief des parois thermo-moulées, ainsi que les différents sacs de camping au pied du personnage. À Chicago, il peut voir la foule d'usagers sur les trottoirs d'une avenue passante, ou au contraire le peu de passants sur une voie secondaire, avec l'aménagement des trottoirs (jardinière, éclairage public, etc.). le dessinateur a pris soin de représenter un mobilier réaliste dans la cellule de prison d'Aaron Rhodes. La silhouette des immeubles se détachant sur le ciel de Chicago correspond bien aussi à la réalité des buildings existants.

Bressan s'investit tout autant pour les environnements sur Terrenos, avec une scène de bataille démesurée sur les pages 2 & 3 de l'épisode 11, l'incroyable cité oubliée au coeur de la montagne (épisode 11) dotée d'un éclairage magnifique, ou encore l'étrange structure édifiée par la mage Mastema (Leslie Mast). Les scènes d'affrontement physiques dégagent une grande énergie, avec un bon sens du mouvement et de l'impact. Il capture des moments époustouflants de grand spectacle. le récit de Joshua Williamson est donc porté par une narration visuelle riche, consistante, détaillée et spectaculaire quand il le faut. le scénariste conduit donc plusieurs fils d'intrigue en parallèle : la progression de Mikey & Brennan, les retours en arrière sur les années de formation de Mikey sur Terrenos, les agissements de l'agent Kylen, le devenir de Wendy Rhodes et Rya. Dans un premier, le lecteur ressent effectivement comme une forme d'effet mécanique dans la construction narrative. Il s'agit d'une mécanique bien huilée et bien conçue, mais les personnages manquent un peu de caractère, devenant des pions dans une intrigue bien ficelée, mais manquant d'implication émotionnelle.

Par exemple, le lecteur a bien compris que Mikey a dû effectuer des choix complexes qui l'ont conduit à accepter une émanation de Nevermind dans son propre corps, la preuve d'une forme de compromission le rendant indigne de devenir le héros de la prophétie. Mais d'un autre côté, il semble bloqué dans cette posture, allant à la recherche du mage suivant, sans que son retour sur Terre ne réveille en lui des souvenirs enfouis. Rya se lance à la recherche de Mikey, en utilisant ses ailes pour effectuer des vols autonomes, malgré sa grossesse, et le lecteur sent bien que la naissance à venir surviendra au bon vouloir du scénariste, de préférence au moment le plus dramatique. du fait de cette approche un peu artificielle, le lecteur éprouve des difficultés à s'impliquer pour ces personnages réduits à l'état de dispositif narratif. Il en va de même pour les parents de Mikey, et même pour Brennan se fiant au Diviner, dispositif bien pratique pour justifier des choix arbitraires qui servent surtout le scénario.

Mais en prenant un peu de recul, il est possible de percevoir des moments plus humains que ne le laisse supposer la seule intrigue, et des thématiques moins manichéenne qu'il n'y paraît. Alors qu'elle discute avec Leslie Mast, Wendy Rhodes évoque sa certitude que son fils va revenir à la raison, quand elle aura l'occasion de le convaincre, car elle est sa mère après tout. La moue dubitative de son interlocutrice en dit long sur ce qu'elle estime être de la naïveté de la part de Wendy quant au pouvoir de la relation mère-fils. Joshua Williamson joue en arrière-plan sur l'étrange relation entre les 2 frères. Brennan est né avant Mikey, mais ce dernier a vieilli de plus d'années que lui en étant sur Terrenos. Malgré tout, Brennan refuse de lâcher totalement prise sur son ainesse et conserve cette forme de regard critique que le plus âgé porte sur le plus jeune. Cela participe au fait qu'il se demande comment gérer la présence du Nevermind chez son frère. Il y a également ce passage assez rigolo quand Mikey fait observer qu'il ne parle pas la langue gideon, et que ses compagnons de voyage hésitent à lui traduire ce qu'ont dit les étrangers.

Arrivé à la fin du tome, le lecteur se dit que l'intrigue progresse à bonne allure, mais reste un peu à la surface des personnages. Puis il fait le constat qu'il a une bonne idée de qui va remplir les promesses de la prophétie concernant la venue d'un héros salvateur. Cette perspicacité commence par diminuer l'intérêt qu'il porte à l'intrigue dans la mesure où il a su l'anticiper. En même temps, cette prise de conscience en amène une autre : derrière ce récit d'Heroic Fantasy, il y a une réflexion sur la condition de héros, qui dépasse le simple manichéisme. C'est sûr que Mikey n'est pas le héros annoncé, mais il y a d'autres personnages qui ont la conviction que leurs actions participeront à sauver le monde : Rya qui va sauver Mikey, Brennan qui va sauver son frère, Aaron et Wendy qui vont sauver leur fils, même Rook qui va aider la prophétie à s'accomplir et par là même sauver Terrenos. du coup l'alternative à Mikey en tant qu'héros de la prophétie est plus importante que prévue, ce qui amène à une réflexion sur la manière dont chaque personnage participe à la réalisation de la prophétie parce qu'elle existe, pour prouver qu'elle a raison, et de ce fait elle prend le chemin de devenir auto-réalisatrice.

Dans un premier temps, ce troisième tome déçoit un peu dans ce qu'il a de prévisible. Andrei Bressan et Adriano Lucas sont excellents, comme dans les 2 tomes précédents. Joshua Williamson poursuit son récit dans la direction annoncée dans les 2 tomes précédents. Tout roule comme sur des rails pour un divertissement de qualité, mais sans grosse surprise. Ce n'est qu'en refermant le tome que le lecteur prend conscience qu'il y a un autre niveau de lecture plus subtil qui agit comme un commentaire sur la notion de héros, la questionnant et la remettant en cause par une main de fer dans un gant de velours. Ces auteurs ne se contentent pas d'un récit d'Heroic Fantasy malin, ils s'en approprient les codes et les sondent.
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