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Critique de Ingannmic


Angelus est une ville (fictive) du sud-ouest de l'Australie, inspirée de celle d'Albany, où Tim Winton a passé son adolescence. Mais ceci est un détail sans importance. D'Angelus même, de sa topographie, de son aspect -ses odeurs, ses couleurs-, nous ne saurons que le strict minimum, apercevant parfois les sinistres environs de son port baleinier, nous réchauffant face aux flammes d'un feu de joie allumé sur une de ses plages…

Il faut dire que c'est surtout une ville que l'on quitte, pour échapper à ses démons, à ses échecs, ou à certain déterminisme social. Certains y reviennent lorsqu'ils sont blessés, comme dans un refuge qui a pour seule vertu d'être familier, d'autres pour flairer les relents de secrets qu'ils y ont enfouis ou pour se confronter enfin à ce qu'ils continuer de traîner comme un boulet, même partis à des milliers de kilomètres. Pour y régler leurs comptes en somme, souvent avec eux-mêmes… D'autres enfin préfèrent ne jamais y remettre les pieds…

La ville surgit pourtant de manière obsédante, insidieuse, comme ces images rémanentes qui persistent (malgré la disparition de ce qui les a provoquées) quand vous fermez les yeux. Car il n'est pas ici tant question d'un endroit, que des empreintes qu'il laisse sur les êtres, sous forme des souvenirs, plus ou moins traumatiques, de ce qu'on y a vécu ou abandonné, des occasions qu'on y a manquées… La ville est aussi ce qui lie les héros de ce recueil en nous conduisant au fil de ses textes autour de lieux, de rites communs : fêtes de fin d'années scolaires, parties de pêches à pieds ou en mer…

Tous ont été adolescents au moment de la guerre du Vietnam, pendant ces années 70 où la consommation de drogue est passée de symbole de "coolitude" au statut de tueuse en série décimant la jeunesse. Mais ça aussi, ce sont des détails presque sans importance, ils constituent à peine un contexte évoqué du bout de la plume, ses personnages évoluant dans cet entre-deux des classes moyennes voire modestes, hésitant entre médiocrité et confort relatif, pas tout à fait coupée des possibilités d'ascension sociale, traversant des adolescences mornes et rarement enclines à la transgression.

Des prolétaires donc, pour la plupart, vivant dans des lotissements de banlieues arrachés à la brousse, où les immigrants venus de Hollande, d'Angleterre ou des Balkans ont semé leurs maisons bon marché le long de rues calcaires. le quotidien y est laborieux, les contacts avec les voisins plutôt circonspects, par indifférence, mépris ou discrétion. C'est en apercevant les ecchymoses sur les bras de la mère d'une camarade de classe, ou en entendant des cris que l'on soupçonne l'alcoolisme et son cortège de violences, le malheur des autres sur lequel on détourne les yeux. Certains sont plus pauvres que d'autres, notamment ces "Pommies" dont les intérieurs sentent le chou bouilli, ou ces catholiques aux myriades d'enfants. Quelques aborigènes parachèvent le tableau, mais là encore, c'est un détail…

Et puis il y a Vic Lang, que l'on retrouve régulièrement tout au long du recueil, à l'occasion de divers épisodes de son existence, évoqués de son point de vue ou de celui d'un tiers et qui tournent autour de l'événement qui a "créé l'énigme psychologique au centre de sa vie", sans jamais vraiment le décrire. Un événement qui a forgé une personnalité marquée par la honte, le désespoir, et la déception, qui l'a condamné à ne pouvoir survivre que dans l'ordre et l'austérité… le fil rouge que constitue ce personnage et ces instantanés de vie crée une véritable cohérence, et est l'une des grandes forces de ce recueil. On n'a pas tant l'impression de lire une suite de textes que de découvrir, étapes par étapes, les différentes pièces d‘un puzzle qui s'emboîtent à la perfection pour former une fresque où la mélancolie s'assombrit parfois jusqu'au désespoir, où les moments de rupture côtoient les moments de révélation, où les tragédies naissent de secrets ou de mauvais choix, mais où brillent aussi de sporadiques lueurs, d'espoir ou de courage.

Une très belle découverte malgré l'amertume et la tristesse qui se dégage de l'ensemble, et un recueil stylistiquement très réussi, Tim Winton parvenant à doter chacune de ses nouvelles d'un ton singulier, sans jamais tomber dans la caricature.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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