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Critique de Dandine


J'ai voulu lire ce livre pousse par son titre, portant le nom d'une ville presente ces jours-ci dans tous les ecrans, pour le mauvais et pour le pire.


C'est un travail de recherche qu'a enterpris Wodin sur sa famille, surtout pour essayer de comprendre pourquoi sa mere s'est suicidee quand elle n'avait que dix ans. Elle utilise des livres d'histoire, l'internet, ainsi que des documents d'autres familles pour compenser les pieces manquantes du puzzle qu'elle essaye de completer. Ainsi, malgre un appreciable effort de rigueur historique, “ce qui fut” se mele au “ce qui surement fut”. Et ce, jusqu'aux moments ou elle a quelques souvenirs de son enfance, devenant alors la narratrice du devenir de ses parents jusqu'a la mort de sa mere.


Le livre est divise en quatre parties. Dans la premiere, la quete hesitante du debut, utilisant le web, m'a ete d'une lecture penible. Trop de sites internet visites, trop de noms et de correspondants dans les essais d'echafauder un arbre genealogique ont failli me faire lacher. Mais je suis un lecteur coriace et j'en ai ete recompense par la suite.

La deuxieme partie resume le journal que sa tante Lidia a redige a 80 ans. Les horreurs de la revolution sovietique a Marioupol; l'ostracisme que subit sa famille parce qu'anciens capitalistes; la faim endemique pendant de tres longues annees. “Il ne s'agit que de survie". En 1934 Lidia est jugee comme dissidente et deportee au camp de Medvejia Gora ou elle est lachee dans la nature sachant qu'elle ne peut s'enfuir: il n'y a autour que marais dangereux, forets, ours et loups. La, elle rencontre son futur mari, Youri, qui lui trouve un poste de prof pour des jeunes criminels dans une colonie d'enfants et adolescents entre huit et dix-sept ans. Des gamins des rues, des orphelins, des fils de prisonniers, certains devenus des criminels, des assassins, et parfois dès l'enfance: “Après le cours, Lidia consulte le dossier d'Ivanov 26 qu'elle a désigné comme délégué. Ce jeune de seize ans aux yeux bleus et clairs a déjà tué trois personnes. Il a étouffé sa grand-mère avec un coussin pour lui voler l'argent qu'elle avait épargné pour lui, il a défoncé le crâne d'un homme au marteau lors d'un cambriolage et tué un policier par balle. Il avait douze ans à l'époque.” Sa peine finie elle reste sur place avec son mari Youri et son fils Igor. Quand la guerre eclate, en Octobre 41, ils sont evacues vers le Kazakhstan.

Dans la troisieme partie elle revient a sa mere, Evguenia: elle a travaille pour les allemands a Marioupol et en 43 elle quitte avec les allemands qui evacuent la ville et passe avec son mari six mois a Odessa. “La dernière image de sa ville qui s'offre à ma mère est celle d'une gigantesque destruction. Il est clair depuis longtemps que la guerre est perdue, mais au dernier moment les soldats allemands dévastent ce qui reste encore de Marioupol. Avec une rage aveugle, ils font sauter un bâtiment après l'autre, visent au lance-flammes les fenêtres et les portes des maisons restées intactes, ils détruisent les écoles, les jardins d'enfants, les bibliothèques, les greniers à céréales et les réserves d'eau pour laisser autant de terre brûlée que possible derrière eux.” Mais “le 10 avril 1944, Odessa est reconquis par l'armée rouge – mes parents quittent l'Ukraine au dernier moment.”

Puis vient le sejour de ses parents en Allemagne d'apres des etudes et des archives. A Leipzig, dans l'usine Flick qui produit des avions, comme travailleurs forces, zwangsarbeiters, devant toujours porter l'insigne OST, ostarbeiter, souffrant de faim, de mauvais traitements et toujours de peur. Quand les americains arrivent ils ne sont pas rapatries (par chance. En Russie on les aurait surement juges comme collabos et liquides) et deviennent des DP, "displaced persons", des deplaces, a Nuremberg.

Quatrieme partie: A Nuremberg ils sont heberges (caches) par un allemand et reussissent donc a fuir les camps de DP. le pere reussit a travailler pour les americains dans une chorale de chants russes. Ils essaient de partir en Amerique mais le visa leur est refuse. Puis ils sont transferes au camp de Valka et la commence pour l'auteure l'ecole et la langue allemande. Avec le temps, de DP il deviennent apatrides avec le droit de rester en Allemagne et on leur donne un petit logement a la limite de la ville. En fait ils arrivent a peine a vivre subissant segregation et haine de la part des allemands. le pere voyage avec sa chorale ethnique et reste toujours absent. La mere se laisse de plus en plus aller pour finir par se noyer dans la Regnitz. Elle n'avait qu 40 ans.


Voila pour l'histoire familiale. Qui est beacoup plus que cela parce que le livre touche quelques episodes parmi les plus noirs du XXe. siecle. Certains tres documentes comme le harcelement des bourgeois par les revolutionnaires russes, d'autres qui commencent a l'etre, comme le holodomor, la grande famine provoquee par Staline qui fit des millions de morts en Ukraine, et un qui reste encore dans une certaine obscurite, l'exploitation de millions d'esclaves amenes de l'est par les nazis pour alimenter le capitalisme du Reich et sa machinerie de guerre en quelques milliers de camps de travaux forces.
Les rescapes des camps de la mort ont produit une importante litterature mais les esclaves non juifs qui ont frole l'extermination et y ont echappe grace a leur travail ont ete beaucoup plus silencieux. Ou meme silencies. Car personne n'aurait pu pretendre ne pas etre au courant, ne rien savoir: dans chaque ville allemande, dans chaque ferme autrichienne, ces etrangers etaient presents, soumis, individuellement ou par milliers, a un travail harassant, sinon a des conditions de vie bestiales. Meme le celebre Oskar Schindler avait etaye son entreprise sur le travail des denommes “ostarbeiter", hommes femmes et enfants, polonais ukrainiens ou russes, que les nazis qualifiaient de “materiel humain de derniere categorie”.
Et apres la guerre? Ceux restes en Allemagne ont continue longtemps a etre discrimines, et leurs enfants ont subi l'aversion (jusqu'a la haine) de leurs camarades autochtones. Mais, comme Natascha Wodin, ils ont reussi a transcender, a vaincre tout cela.


En fin de compte, apres un debut trainaillant, Wodin a reussi a ecrire quelque chose d'emouvant. Un travail de recherche tres pousse a fini par devenir une tres excitante litterature. Je suis sorti bouleverse de ce livre. Je n'oublierai pas de sitot sa mere, cette femme qui n'a pu surmonter le poids des abominations qu'elle avait (elle et sa famille) subies. Ce livre de memoire restera dans la mienne.
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