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Critique de nanouche


Née en 1945 Natascha Wodin est une écrivaine allemande d'origine soviétique. Ses parents sont arrivés en Allemagne comme travailleurs forcés en 1944. Evguénia Iakovlevna Ivachtchenko (1920-1956), la mère de l'autrice, s'est suicidée quand celle-ci avait dix ans. Natascha Wodin sait très peu de choses sur sa mère et sa famille maternelle. Un jour de 2013, cependant, elle trouve le nom de sa mère sur l'internet russe. S'en suivent plusieurs coups de chance ou hasards miraculeux. Natascha Wodin fait la connaissance de Konstantine, un Grec de Marioupol, généalogiste amateur qui, de fil en aiguille, reconstitue l'histoire de ses ancêtres. Natascha Wodin entre même en contact avec des cousins dont elle ignorait auparavant l'existence. Elle qui a vécu une enfance misérable et se rêvait en princesse pour la supporter découvre alors une famille qui fut une des plus riches de Marioupol.

Derrière l'histoire de la famille Ivachtchenko, très représentative, c'est le sort tragique du peuple ukrainien au 20° siècle qui nous est rappelé : révolution russe et guerre civile ("Au cours des cinq années de guerre civile, le pouvoir administratif à Marioupol change de main à dix-sept reprises"), Grande famine, procès truqués et déportation au goulag, invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie ("Au moment de l'entrée des troupes allemandes, 240000 personnes vivent à Marioupol, deux ans plus tard ils ne seront plus que 85000"), travail forcé en Allemagne et encore le goulag pour ceux qui en sont revenus. On ne peut pas dire que le 21° siècle soit pour l'instant plus favorable. Cette histoire a séparé et détruit les familles et Natascha Wodin est loin d'être la seule à rechercher les siens : Konstantine est surchargé de travail. Il existe une émission de recherche de disparus à la télé ukrainienne, "Attendez-moi", mais il y a tellement de monde qui fait appel à elle que le temps d'attente est de plus d'un an.

Natascha Wodin raconte aussi la vie de sa mère en Allemagne. Evguénia et son mari (le père de l'autrice) sont affectés comme travailleurs forcés à une usine du groupe Flick à Leipzig, logés dans un camp. L'autrice ne sait rien de la vie de ses parents à cette époque. Elle s'appuie sur des documents et des récits d'autres travailleurs de la même usine pour imaginer leurs conditions d'existence dans un groupe "connu pour ses conditions de travail et de logement particulièrement inhumaines". J'ai trouvé très intéressant ce que j'ai appris à ce sujet. L'Holocaust Memorial Museum de Washington estime à 30000 le nombre de camps de travailleurs forcés sur le territoire du Reich allemand.

Après la guerre la famille Wodin connaît des conditions d'hébergement très précaires jusqu'en 1952 : ils vivent dans un hangar puis dans un camp de personnes déplacées. L'autrice s'appuie sur ses souvenirs de petite fille pour raconter l'ouverture qu'a été pour elle le fait d'aller à l'école à l'extérieur du camp et d'y apprendre la langue allemande mais aussi la façon dont elle a été maltraitée par les petits Allemands, avec la complicité de l'institutrice, car en tant que Russe on se vengeait sur elle de la défaite de l'Allemagne. La famille n'est pas vraiment un refuge. le père bat femme et filles puis disparaît pendant de longues périodes, la mère sombre peu à peu dans la folie. La fin est poignante.

J'ai beaucoup apprécié cet excellent ouvrage. J'ai trouvé très intéressante l'histoire de la famille ukrainienne de l'autrice et sa quête pour en renouer les fils. Natasca Wodin raconte comment elle a pendant longtemps fantasmé la vie de sa mère et la façon dont ses découvertes valident ou invalident ce qu'elle avait imaginé. J'aime bien sa façon de présenter le contraste qu'il peut y avoir entre le rêve et la réalité et de montrer comment sa recherche réactive des souvenirs enfouis. Elle croyait ne rien savoir, elle découvre que ce n'est pas tout à fait le cas.

J'ai été choquée par ce que j'ai appris du sort des travailleurs déplacés pendant et après la guerre. J'ai pensé bien sûr à L'Ukrainienne de Josef Winkler. Il est clair que Valentina Steiner a eu beaucoup plus de chance qu'Evguénia. D'après ce que j'ai lu il semble que ce soit le cas de la première qui soit l'exception. Autre différence : Valentina a gardé le contact avec sa mère, Evguénia ne savait pas ce que la sienne était devenue, ignorance qui l'a minée.

Enfin j'ai été impressionnée par ce qu'est devenue Natascha Wodin après un début de vie très difficile : une traductrice et une autrice, une femme qui semble apaisée et je lui dis bravo. Avec cet ouvrage elle restitue une humanité à sa mère que le père a toujours traitée de folle après sa mort.
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
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